La Cour suprême rembarre les anti-IVG de Louisiane
La haute juridiction a invalidé lundi une loi votée par l’Etat américain en 2014 qui restreignait le droit à l’avortement. Une petite victoire pour les droits des femmes, un camouflet pour Trump.
La décision aurait pu définir l’avenir du droit à l’avortement aux EtatsUnis et, à plus court terme, laisser la Louisiane, 4,6 millions d’habitants dont un million de femmes en âge de procréer, avec une seule clinique pratiquant des interruptions volontaires de grossesse (IVG). Mais la Cour suprême en a décidé autrement: la plus haute juridiction américaine a invalidé lundi une loi de Louisiane très restrictive, qui visait à empêcher les médecins de pratiquer des avortements s’ils n’avaient pas d’admitting privileges –droits qui leur permettent de faire admettre des patients à l’hôpital et de les soigner pendant leur séjour – dans un hôpital de la région.
Cette loi, votée en 2014 par la législature de Louisiane, à majorité républicaine, était «conçue pour faire fermer des cliniques [deux des trois qui pratiquent des IVG dans l’Etat, ndlr] et saper le droit d’accès à l’avortement», explique le Center for Reproductive Rights, qui a mené la charge (June Medical Services LLC v. Russo) dans les tribunaux jusqu’à la Cour suprême, pour bloquer son application.
La loi de cet Etat conservateur, «Act 620», était similaire à une loi texane déjà invalidée par la Cour suprême en 2016 pour son anticonstiLe tutionnalité, estimant qu’elle était en violation avec l’arrêt Roe v. Wade, qui a reconnu en 1973 le droit des femmes à avorter aux Etats-Unis. Le chef de la cour, Chief Justice John Roberts, s’est appuyé sur ce précédent pour se ranger du côté des juges progressistes, et la décision de déclarer cette loi illégale a été prise à cinq voix contre quatre. Sa position est une surprise: en 2016, il avait voté en faveur de la loi texane. C’est même la première fois, depuis son arrivée à la Cour en 2005, qu’il prend position en faveur de l’avortement.
Clivage.
La décision avait valeur de test pour l’institution, qui se penchait sur ce sujet hautement clivant pour la première fois depuis qu’elle a été profondément remaniée par Donald Trump. Le Président a tenu ses promesses de campagne en nommant deux juges conservateurs depuis son arrivée à la Maison Blanche, ce qui ancre l’institution résolument à droite. Il a également adopté une véhémente rhétorique anti-avortement, plébiscitée par sa base religieuse, depuis sa campagne de 2016. Les deux juges nommés par Trump, Neil Gorsuch et Brett Kavanaugh, ont voté sans surprise avec le camp conservateur. Leur arrivée à la Cour suprême avait alimenté les craintes des défenseurs des droits reproductifs, et les espoirs des opposants à l’avortement, déclenchant la multiplication d’adoptions de lois très restrictives, notamment dans les Etats conservateurs du Sud. La décision de lundi est un nouveau camouflet pour l’administration Trump, après celle de mi-juin validant les protections accordées par Barack Obama à 700000 jeunes migrants, les «Dreamers», que le président républicain voulait supprimer. chef de la cour, John Roberts, avait déjà joint sa voix à ses quatre collègues progressistes pour cette décision prise là aussi à une courte majorité (cinq juges sur neuf). Roberts, un conservateur modéré, semble désormais endosser le rôle de swing justice – le juge dont le vote peut faire basculer la décision finale d’un côté ou de l’autre –, rôle que jouait le juge Anthony Kennedy, qui a pris sa retraite en juin 2018, donnant alors l’opportunité à Trump de façonner la Cour suprême.
Les juges conservateurs comme Clarence Thomas ont rédigé une opinion dissidente à la décision du jour, soulignant le clivage interne dans l’institution. Une décision «regrettable», a jugé la Maison Blanche dans un communiqué, estimant qu’elle «dévalorisait à la fois la santé des mères et la vie des enfants à naître», tandis que la loi de Louisiane servait à «protéger la santé des patients».
Le cas June v. Russo est distinct de nombreuses autres lois qui font leur apparition aujourd’hui dans les tribunaux américains, avec l’espoir assumé d’arriver jusqu’à la Cour suprême et de créer des jurisprudences antiavortement. A l’instar des «heartbeat bills», ces lois votées l’an dernier dans l’Ohio, le Mississippi, le Kentucky ou encore la Géorgie, qui interdisent aux femmes d’avorter dès que les battements de coeur du foetus peuvent être détectés. Soit une quasi-interdiction de l’IVG, puisque le coeur peut être entendu dès la sixième semaine de grossesse, stade auquel de nombreuses femmes ne savent pas encore qu’elles sont enceintes. Ou la loi HB 314, promulguée en mai 2019 en Alabama. Ce texte, le plus répressif du pays, interdit l’avortement dans l’Etat même en cas d’inceste ou de viol, et punit de 10 à 99 ans de prison les médecins le pratiquant. Seules exceptions, une urgence vitale pour la mère ou une «anomalie létale» du foetus. Le texte considère que dès qu’il y a conception, il y a vie humaine, et qu’un avortement est égal à un meurtre et doit être considéré comme tel par la loi.
Bataille.
Les défenseurs des droits reproductifs savent bien que la décision de la Cour suprême n’est qu’une petite victoire face aux assauts du camp anti-avortement dans la longue bataille judiciaire qu’ils mènent. «Nous sommes soulagés que la loi de Louisiane ait été bloquée aujourd’hui, mais nous sommes inquiets pour demain, insiste Nancy Northup, la présidente du Center for Reproductive Rights. La décision de la cour peut encourager les Etats à voter des lois encore plus restrictives quand il faudrait de la clarté pour protéger le droit à l’avortement.» Northup rappelle aussi la nécessité pour le Congrès de voter le Women’s Health Protection Act, qui permettrait d’inscrire le droit à l’avortement au niveau fédéral.
L’arrêt de la Cour suprême de 1973 a reconnu que le droit constitutionnel à la vie privée (quatorzième amendement) s’étendait à la décision d’une femme de se faire avorter; une décision que ceux qui se définissent comme «pro-life» jugent bâtie sur des bases légales et constitutionnelles nébuleuses. Ils n’ont de cesse de la défier dans les législatures d’Etat et dans les tribunaux, tant qu’une loi fédérale ne sera pas en place. Ce qui crée un accès très inégal à l’avortement selon l’Etat de résidence. «C’est le meilleur scénario qu’on aurait pu anticiper, souligne le National Network of Abortion Funds, un réseau d’organisations facilitant l’accès à l’avortement. Mais malgré cette décision de la Cour suprême, l’avortement reste hors de portée pour de nombreuses personnes à travers le pays.» •