«La photo manque encore de reconnaissance sur le plan purement artistique»
Présente dès le lancement en 2011 du festival Circulation(s) et désormais coordinatrice générale, Clara Chalou retrace l’évolution du rendez-vous parisien dont la 10e édition, reportée de deux mois pour cause de pandémie, a rouvert début juin au CentQuatr
Grande est la tentation de conférer une valeur métaphorique aux flammes extraites de la série «Outburst» (Explosion) du Suisse Vincent Levrat, qui illustrent l’affiche de la 10e édition de Circulation(s). Fermé le jour même de son lancement, samedi 14 mars, pour cause de couvre-feu sanitaire, le rendez-vous de la «jeune photographie européenne» renaît en effet de ses cendres. Initialement prévu jusqu’au 10 mai, l’événement a (r) ouvert ses portes début juin et il est accessible jusqu’à fin juillet –le CentQuatre, qui l’a adopté depuis sept ans, songeant même fortement à prolonger les prolongations jusqu’à la rentrée de septembre (lire ci-contre). La nouvelle est d’autant plus heureuse qu’il aurait été frustrant de ne pouvoir «visiter» que sur Internet la sélection 2020 d’un festival sans esbroufe (budget : 280 000 euros), ayant su inscrire sa pertinence aventureuse dans un secteur pourtant désormais très fourni. Imaginé en 2011 par Marion Hislen, entre-temps nommée déléguée à la photographie au ministère de la Culture, Circulation(s) possède – de la présidence de l’association Fetart,
qui le cornaque, à l’équipe qui l’élabore – un organigramme quasi exclusivement féminin, avec par exemple 14 curatrices (et un curateur). A ce jour, 473 artistes, en provenance d’une vingtaine de pays, ont garni les étagères de ce «laboratoire prospectif» né l’hiver 2011 dans le cadre coquet (mais excentré) du parc de Bagatelle. Présente dès la parturition, Clara Chalou assure aujourd’hui la fonction de coordinatrice générale du festival dont, par ailleurs, elle est devenue en 2018 la première (des deux) salariée. Retour sur dix années d’engagement. Quelles évolutions notables avez-vous observées depuis la création de Circulation(s) ? Principalement, elles tournent autour du statut même du photographe, qui ne cesse d’élargir son champ d’action. Au début, il n’était question que d’accrocher des cadres sur un mur. Mais désormais, la réflexion intègre la notion de volume, où la photo même peut n’être qu’une composante au coeur d’une installation. Par ailleurs, bien des projets sont plus fouillés qu’autrefois, jusqu’à confiner à l’enquête ; et il y a de plus en plus d’artistes qui ne prennent plus eux-mêmes de photos, mais fondent leur démarche sur des archives. Dernier constat : l’humour est devenu une denrée rare. Tout comme les sujets pop, colorés, que nous défendions volontiers au début, mais que l’on peine dorénavant à dénicher.
Comment se porte la «jeune photographie européenne» ? Du point de vue créatif, la vitalité perdure. On a également vu émerger de nouvelles scènes, du côté de l’ancien bloc de l’Est par exemple. Instagram et les réseaux sociaux garantissent en outre un renouveau
continuel, le revers de la médaille étant qu’il n’est pas toujours évident de s’en extraire. Et nul n’ignore que la question économique reste épineuse. Je crois que la photo manque encore de reconnaissance sur le plan purement artistique, le grand public persistant à trouver l’exercice facile, donc accessible à tous ; ce qui, justement, le rend à mon sens d’autant plus passionnant. Parmi les 42 noms de la première édition, une bonne dizaine sont encore aujourd’hui dans le circuit et en vivent. Certains trouveront peutêtre que cela fait peu. Alors qu’au contraire, le ratio ne me paraît pas mauvais.
Qu’est-ce qui fédère selon vous cette photographie continentale regroupant des pays aux réalités socioculturelles si disparates ? Chaque territoire garde effectivement ses caractéristiques propres. La Scandinavie, l’Italie ou la Pologne ne produiront jamais des sujets uniformes. Les photographes ukrainiens par exemple ont un propos très politique, là où les Français adoptent souvent une réflexion plus plasticienne. Mais tout cela donne selon moi une mosaïque qu’on ne
confondra pas pour autant avec la production asiatique ou américaine, par exemple.
Comment opérez-vous votre sélection ?
En fonction de nos sensibilités respectives. Ces quatre dernières années, nous avons reçu entre 800 et 1000 dossiers, pour n’en choisir en moyenne que 40 ou 45. Mais, en 2021, nous réduirons l’édition à une trentaine de projets. D’une part, cela nous permettra de limiter les dégâts financiers liés au Covid. Et surtout, l’objectif consistera à accorder plus de place aux sujets retenus, pour lesquels, souvent, un seul mur ne suffit plus.
Vous insistez régulièrement sur l’ADN féminin du festival… Parce qu’il nous soude et nous rend imaginatives et combatives. Né du bénévolat, Circulation(s) garde un état d’esprit associatif dans lequel, d’une façon générale, les femmes me paraissent plus impliquées que les hommes. Mais je ne me hasarderai pas pour autant à affirmer que cette spécificité a eu une incidence notable sur la ligne artistique du festival. Hormis l’idée de parité, intangible depuis le début. •