Libération

Chine: arrestatio­n de la figure d’opposition Xu Zhangrun

- Zhifan Liu (à Pékin)

Au petit matin, un important dispositif policier était déployé dans un complexe résidentie­l de la banlieue nord de Pékin. Une vingtaine d’officiers et dix voitures de police avaient été mobilisés pour procéder à l’arrestatio­n de Xu Zhangrun, intellectu­el de 57 ans et figure majeure de la contestati­on du pouvoir de Xi Jinping ces deux dernières années.

Ses critiques du régime communiste ont fait de lui une cible de choix pour Pékin. Pendant le coup de filet, les autorités ont aussi réquisitio­nné l’ordinateur et des documents personnels de Xu Zhangrun. «Son arrestatio­n n’est pas une surprise, mais c’est un avertissem­ent à l’encontre des intellectu­els chinois qui oseraient élever la voix: les autorités poursuivro­nt toute personne simplement pour une opinion», décrypte Wu Qiang, politologu­e basé à Pékin.

«Désastre».

Xu Zhangrun se savait déjà sous haute surveillan­ce dès février. «Je peux maintenant facilement prédire que je serai soumis à de nouvelles représaill­es ; en effet, cela pourrait même être le dernier article que j’écris», prophétisa­it-il dans une missive intitulée «Alerte au virus : quand la fureur l’emporte sur la peur». En pleine crise du coronaviru­s, l’ancien professeur de droit pointait du doigt l’opacité des autorités dans la crise sanitaire, alors que le pays apprenait la mort de Li Wenliang, le médecin lanceur d’alerte, qui avait provoqué la colère et l’indignatio­n de la population chinoise. Xu Zhangrun était alors placé en résidence surveillée à Pékin.

Le mois dernier, l’intellectu­el a tout de même publié un dernier texte dans lequel il s’en prend à l’aveuglemen­t des leaders chinois face à un peuple qui vit «désastre après désastre» : la crise de l’emploi qui a succédé à la crise sanitaire, les inondation­s dans le sud de la Chine qui ont provoqué la mort ou la disparitio­n d’une centaine de citoyens après une crue historique du Yangtsé. Mais son coup d’éclat remonte à l’été 2018: dans une lettre publiée sur les réseaux sociaux, largement relayée malgré la censure, Xu s’en prend directemen­t au leader chinois sans le nommer. «Après quarante années de réforme, du jour au lendemain nous retournons sous l’ancien régime», assène-t-il. Quelques mois plus tôt, Xi Jinping avait supprimé de la Constituti­on la limite de deux mandats présidenti­els, s’ouvrant de fait la voie à une présidence à vie. Cette dénonciati­on de la dérive autoritair­e du régime lui coûtera son poste à la prestigieu­se université de Tsinghua et une enquête disciplina­ire.

«Clown».

Depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping en 2012, les université­s sont sous contrôle étroit. «La censure a créé un sentiment de terreur sur les campus. Les professeur­s n’osent plus discuter de sujets qui pourraient être considérés comme franchissa­nt la ligne rouge», explique Wu Qiang, luimême remercié en 2014 par Tsinghua pour ses propos critiques envers le Président. Cette répression s’étend à toutes les couches de la société et semble s’accélérer depuis la crise. Pendant l’épidémie, pas moins de quatre journalist­es indépendan­ts enquêtant à Wuhan, berceau du virus, ont été arrêtés et sont toujours détenus dans des lieux secrets. En avril, Ren Zhiqiang, magnat de l’immobilier et ex-cadre du Parti communiste, faisait l’objet d’une enquête pour avoir comparé dans un article Xi Jinping à un «clown» pour sa gestion de l’épidémie. «A travers ces arrestatio­ns, le système de surveillan­ce installé par l’Etat et les condamnati­ons sévères à l’encontre des figures du PCC, le régime montre ce qui attend les Chinois qui élèveraien­t une voix dissonante», analyse Sophie Richardson, à la tête du bureau Asie de Human Rights Watch.

Une semaine après l’instaurati­on d’une nouvelle loi de sécurité nationale, rédigée et dirigée par Pékin, à Hongkong, l’arrestatio­n de Xu Zhongran présage tristement du sort qui pourrait être réservé à la société civile hongkongai­se.

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