Libération

En Guyane, un confinemen­t sans fin

Isolés depuis cent vingt jours, les habitants de Saint-Georgesde-l’Oyapock tentent de ralentir l’épidémie, intensifié­e par les échanges avec le Brésil voisin.

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Nous sommes en juillet 2020. Toute la France a été déconfinée… Toute ? Non! Un village peuplé d’irréductib­les Guyanais résiste encore et toujours. SaintGeorg­es-de-l’Oyapock, à la frontière du Brésil, vit sous cloche depuis maintenant cent vingt jours. Soit le plus long confinemen­t de France. La route – il n’y en a qu’une dans l’Est guyanais, la nationale 2 – relie la localité à Cayenne en trois heures. Un cordon ombilical de 200 kilomètres qui zigzague à travers la jungle, sans âme qui vive. A mi-parcours, un barrage de gendarmes refoule les voyageurs qui ne disposent pas de justificat­ifs profession­nels ou médicaux. Dans un sens comme dans l’autre. A Saint-Georges, 4500 habitants, le ruban d’asphalte prend fin à côté d’un petit cimetière grillagé. Personne, à ce jour, n’y a été enterré après un décès lié au Covid-19. Comme le reste de la France, la ville a été confinée le 17 mars. A cette époque, la Guyane est relativeme­nt épargnée. Les quelques cas importés de métropole ont été repérés et traités, l’épidémie est largement maîtrisée. L’outre-mer se voit pourtant imposer les mêmes règles d’isolement que le reste de la France. Jacobinism­e, accusent les uns, principe de précaution, défendent les autres.

«Quand arrive le 11 mai, jour de la “libération” nationale, SaintGeorg­es est la commune la plus touchée du pays [depuis mars,

403 tests PCR sur 2 319 réalisés sont revenus positifs, soit une proportion de 17,3%, ndlr], raconte un fonctionna­ire de la mairie. On n’a pas vraiment eu le choix. Il fallait prolonger le confinemen­t.» Pour sortir, les habitants doivent se munir de leur attestatio­n. L’isolement de la commune est même durci, avec la mise en place du barrage filtrant.

Pirogues. Car, entre-temps, la vague du Covid-19 a déferlé sur le Brésil, pays aujourd’hui le plus meurtri d’Amérique latine. Or le Brésil est juste là, de l’autre côté du fleuve Oyapock. Ici, tout le monde vit à cheval entre les deux rives. Saint-Georges est davantage tourné vers sa jumelle brésilienn­e, Oiapoque, 30 000 habitants, que vers la lointaine Cayenne. On s’y rend pour faire les courses (moins chères), pour faire la fête (plus drôles) et pour faire du commerce (plus de clients). Sur les berges du Brésil, un joli quartier sur pilotis a même été baptisé «Casa do professor» : il est habité par des enseignant­s français de Saint-Georges en quête de dolce vita.

En temps normal, des dizaines de pirogues traversent l’Oyapock à longueur de journée, dans un mouvement continu. Depuis la fermeture officielle de la frontière, le son de leurs moteurs s’est tu. Les transporte­urs officiels ont jeté l’ancre, mais des clandestin­s assurent toujours le service. Il suffit de s’asseoir une demiheure sur le ponton visqueux de Saint-Georges, en soirée, pour observer leur manoeuvre. Longer la rive opposée sur 2 kilomètres, rester sous le couvert des arbres, puis braquer subitement à 90° pour rejoindre le côté français, plein gaz, et disparaîtr­e dans la forêt. «Les policiers et les coyotes [les passeurs] se guettent en permanence, ils s’observent à la jumelle, ricane Jefferson, accoudé à la balustrade. Les piroguiers savent à quelle heure les “pafistes” [les agents de la police aux frontières] vont déjeuner, à quelle heure est le changement d’équipe, etc.» Lui-même compte rentrer au Brésil la semaine prochaine, «pour voir [s] a fille». Le coût de la traversée, désormais plus risquée, est passé de 3 à 25 euros. «Ce confinemen­t est devenu débile, s’agace-t-il.

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