«Il faut absolument qu’on prenne connaissance de notre histoire commune»
«Un des plus beaux exemples de dialogue entre une statue et la population, pour moi, c’est l’histoire de la statue de Joséphine de Beauharnais, place de la Savane, à Fortde-France. Elle a été inaugurée en 1859, avec un corps de garde pour la mettre à distance et sera plus tard, en 1974, non pas détruite par le camp progressiste, mais déplacée sur les bordures du parc, comme pour la déchoir. C’est seulement en 1991 que la statue sera décapitée par un groupe anonyme et, depuis, elle est restée en l’état. La population aime cette statue mais sans sa tête. Et il y a beaucoup de légendes autour de cette tête, elle serait encore à Fort-de-France… «Ça a beaucoup influencé mon travail, dès mes premières expositions. Parce que je cherche toujours à faire s’entrechoquer des géographies et des temporalités diverses, à tisser des récits passés et présents pour raconter l’histoire par de petits détails. Joséphine de Beauharnais, par exemple, c’est aussi celle qui a mécéné Pierre-Joseph Redouté, à qui l’on doit les gravures de roses que l’on connaît. Donc la rose comme symbole de l’amour, c’est dû à Joséphine… Et moi alors, je vais relier ça aux vendeurs de roses à la sauvette que l’on croise ici, à Paris, à ces populations pakistanaises, possiblement exploités. Il faut absolument qu’on prenne connaissance de notre histoire commune, faire entendre différents points de vue et versions. L’histoire, ce sont aussi des dénis et des injustices. Par exemple, au musée des Arts décoratifs, à Paris, on peut voir ces meubles d’armateurs réalisés en mancenillier, arbre vénéneux des Caraïbes qui produit un fruit empoisonné. Pour les faire, il faut laver la sève à l’intérieur du bois pendant plusieurs années, une absurdité, une folie très intéressante… On ne sait pas assez non plus que certains fromages AOC ne le sont pas et taisent des histoires. Comme la mimolette, qui n’existerait pas sans le rocou, son colorant, venu d’Amérique centrale et des Caraïbes. J’en ai recouvert le plafond d’une salle d’expo au Frac Normandie pour en faire un coucher de soleil. C’est un fromage qui ne raconte pas ce qu’il devrait raconter.
«Ce ne sont pas simplement les statues qui sont problématiques. Ce sont les histoires inconnues qui se cachent derrière le mobilier, les vêtements, l’art de vivre, les batteries de nos trottinettes, les essences mises dans nos savons. Il faudrait reraconter l’histoire du monde capitalisé sur cinq cents ans.»