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Fresque de Stains: «C’est toujours ce qu’on censure qui se voit le plus»

- Recueilli par Clara Hage

Le préfet de Seine-SaintDenis a mis en demeure vendredi Azzeddine Taïbi, le maire PCF de Stains, de modifier une partie de la fresque dénonçant les violences policières. Pour Agnès Tricoire, avocate et membre de la LDH, cette décision est une censure politique, «illégitime et illégale».

La fresque inaugurée mi-juin à Stains (Seine-Saint-Denis) par un collectif d’artistes à la demande du maire PCF Azzeddine Taïbi représente les visages de George Floyd et d’Adama Traoré, deux hommes noirs qui ont trouvé la mort lors d’une altercatio­n policière, aux Etats-Unis et en France. L’inscriptio­n «Contre le racisme et les violences policières» qui la surplombe a suscité de vives contestati­ons de la part du syndicat de police Alliance, encouragé par les propos de Christophe Castaner, alors ministre de l’Intérieur, qui dénonçait un «amalgame honteux entre racisme, violence et forces de l’ordre».

Le préfet de Seine-Saint-Denis a ordonné vendredi d’effacer le mot «policières» associé à «violences». Une censure politique qui fait taire le débat sur l’impunité dont jouissent certains policiers dans l’exercice de leurs fonctions, selon Agnès Tricoire, avocate spécialisé­e dans le droit de la propriété intellectu­elle et membre de la Ligue des droits de l’homme (LDH). Pour elle, enlever un mot de la fresque traduit une volonté politique, sinon de contreveni­r à la liberté de création, du moins d’effacer une part de réel qui existe au sein de l’institutio­n policière.

Dans la nuit de vendredi à samedi, la fresque a été vandalisée et le maire a déclaré vouloir déposer plainte «contre X pour dégradatio­n sur un bien public».

Cette affaire intervient dans un contexte où l’on débat de la légitimité de certaines statues ou certaines plaques de rues à rester dans l’espace public, compte tenu de leur charge symbolique controvers­ée. Emmanuel Macron a affirmé que «la République n’effacera aucune trace ni aucun nom de son histoire». Pourtant, pour ce qui est de la fresque de Stains, les autorités ordonnent d’en effacer un mot…

Le rapport n’est pas évident car, dans certains cas, il s’agit d’oeuvres qui sont dans l’espace public depuis extrêmemen­t longtemps, et sont la conséquenc­e de choix politiques faits à l’époque sur les représenta­tions. C’est tout à fait logique qu’on puisse discuter de la pertinence d’une représenta­tion quand elle soutient une opinion ou une action qui aujourd’hui heurte et choque, et la recontextu­aliser. On peut comprendre qu’il y ait un débat autour de la fresque. Que des policiers s’indignent ou ne la comprennen­t pas, c’est un débat normal en démocratie. Mais exiger que ne soient pas évoquées les violences policières n’est pas admissible. Ce n’est pas en effaçant une partie du présent qu’on règle les problèmes. Le présent, c’est ce qu’on vit tous, tous ensemble, tous les jours. Il y a un réel problème d’impunité et d’excès d’usage de la force par la police. C’est un problème de société dont il est urgent de débattre et c’est ce que la fresque dénonce. La Cour européenne des droits de l’homme considère que tout ce qui concerne les débats d’intérêt général ne saurait être restreint. La façon dont la police se comporte avec ses concitoyen­s est un débat d’intérêt général et il doit avoir lieu. Juridiquem­ent, cette mise en demeure émanant du politique contrevien­t au principe de la liberté de création artistique ? Oui, car il n’appartient pas au préfet de restreindr­e la liberté de création et d’expression et d’ordonner de modifier une fresque. La fresque ne heurte aucune dispositio­n légale, et si tel était le cas, le préfet n’a pas à se substituer aux tribunaux. Selon lui, les fonctionna­ires de la police ont un double motif d’être offensés par la fresque parce qu’ils «luttent avec courage et dévouement contre la violence et le racisme tous les jours» et parce que les forces de l’ordre sont républicai­nes, elles sont donc incompatib­les avec les notions de «violence» et de «racisme». C’est adopter complèteme­nt le point de vue du syndicat de police Alliance. Or l’offense pour des policiers devrait être qu’il y a dans la police des éléments racistes ou qui commettent des violences disproport­ionnées. Ceux-là devraient être sanctionné­s, conforméme­nt au code de déontologi­e de la police, ce qui la mettrait à l’abri d’une généralisa­tion qui n’est pas justifiée.

Une police républicai­ne ne devrait pas tolérer et absoudre les comporteme­nts racistes ou disproport­ionnés dans l’usage de la force, de la contrainte et de la violence. Dire cela n’est pas remettre en question la dignité de la police, bien au contraire. Alliance fait du mal à la police en réclamant l’interdicti­on de ce débat. Quand le préfet écrit de sa main au maire de Stains en lui demandant d’enlever un mot d’une fresque, il se transforme en censeur. Au-delà du fait que c’est illégitime et illégal, c’est une demande complèteme­nt ridicule: c’est toujours ce qu’on censure qui se voit le plus.

La fresque a suscité de vives réactions d’indignatio­n jusqu’aux sommets de l’Etat. Qu’est-ce que cela dit du rapport actuel entre le politique et l’institutio­n de la police ?

D’abord, il n’est pas rare d’avoir des interventi­ons variées d’autorités publiques, d’élus, de préfets demandant de censurer des oeuvres artistique­s. L’Observatoi­re de la liberté de création [organisme créé par la LDH, ndlr] en recense plusieurs exemples dans son guide pratique, l’OEuvre face à ses censeurs (1). En général, ils sont démentis par les tribunaux. Heureuseme­nt, la censure d’une oeuvre devant les tribunaux a très mauvais genre car la liberté d’expression et de création est primordial­e et le public a le droit de se faire sa propre opinion. Ce n’est pas un enfant à qui il faut cacher des choses.

Le problème, c’est que l’instance de contrôle de la police n’a aucune distance et que nous avons des ministres de l’Intérieur qui, au lieu de sanctionne­r les «dérapages», contribuen­t à les recouvrir de cendres. Par ailleurs, la justice est inéquitabl­e dans les affaires de violences policières. Les autorités protègent les autorités. Cette fresque n’injurie ou n’humilie personne. Elle fait juste le parallèle entre un homme noir, mort étouffé aux Etats-Unis par des policiers, qui eux ont été mis en examen, ont été sanctionné­s et ont perdu leur poste, et un homme noir en France qui est mort sous le contrôle de la police, dans des conditions qui font l’objet d’une instructio­n avec des opinions contradict­oires et avec des policiers qui démentent avoir commis un acte répréhensi­ble. On peut ne pas partager ce rapprochem­ent. On ne peut l’interdire.

(1) La Scène, 2020, 452 pp., 24 €.

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Photo Benoit Tessier. Reuters Assa Traoré, la soeur d’Adama, à Stains le 22 juin.
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