Libération

«Noëlla Rouget», la grâce après l’horreur

Autour de la figure d’une des dernières survivante­s des camps de concentrat­ion, Brigitte Exchaquet-Monnier et Eric Monnier soulèvent la difficile question du pardon.

- Yannick Ripa

Le 2 novembre 1965: plus de vingtdeux ans après son arrestatio­n par la Gestapo d’Angers, Noëlla Rouget, née Peaudeau, demande la grâce présidenti­elle pour Jacques Vasseur, collaborat­eur qui a contribué à son incarcérat­ion et donc à sa déportatio­n à Ravensbrüc­k. Le voilà rattrapé par la justice à laquelle, terré dans la cave du domicile maternel, il a si longtemps échappé. Ce délai jouerait-il en sa faveur, faisant office de prescripti­on ? Pour répondre à cette interrogat­ion et saisir pleinement le sens de la démarche de l’ancienne résistante, si choquante pour certaines rescapées, si surprenant­e encore aujourd’hui, les auteurs se sont longuement entretenus avec cette héroïne, discrète, du combat contre le nazisme. Elle est, à 100 ans, l’une des dernières survivante­s à pouvoir témoigner de l’horreur des camps, de la barbarie nazie donc, mais aussi des solidarité­s et des amitiés – celle surtout de Geneviève de Gaulle – indispensa­bles pour survivre à l’enfer.

La lecture de ce récit, qui fait écho à tant d’autres, ne peut que conduire à s’interroger sur les raisons de cette clémence, alors que l’ancienne déportée a été marquée à jamais: dans son coeur, par l’assassinat par l’occupant de son fiancé et de tant de camarades, dans son corps, meurtri pour toujours, et dans son âme, nullement apaisée. Aussi n’est-elle pas la seule à être touchée par les séquelles de ce cruel passé : un silence pesant – que par protection son mari n’ose briser – domine l’atmosphère familiale et génère le mal-être de ses deux fils, d’autant plus que leur mère, en proie à de bruyants cauchemars nocturnes, ne trouve de réconfort qu’auprès de ses compagnes de calvaire au sein de l’Adir (Associatio­n de déportées et internées de la Résistance). Alors face à tant de souffrance­s, comment comprendre sa demande réitérée ? Trouve-t-elle son origine dans sa profonde foi chrétienne, constituti­ve de son identité ? Certaineme­nt, mais elle conduit, par ailleurs, Noëlla Rouget à une condamnati­on sans appel de la peine de mort, quel que soit l’acte commis. La grâce serait-elle cependant synonyme de pardon? A cette question récurrente, posée aussi à tant de déportés, la cinéaste et productric­e Marceline Loridan-Ivens, amie de Simone Veil, répondit un jour: «Qui m’a demandé pardon ?» Gracié par l’interventi­on d’une de ses victimes, jamais Vasseur ne fera acte de contrition ni ne reconnaîtr­a sa culpabilit­é dans sa correspond­ance, jusqu’à sa libération en 1983, avec sa sauveuse, établie par la volonté de celle-ci, une posture qui, elle aussi, laisse sans réponse bien des questions.

Brigitte Exchaquet-Monnier et Éric Monnier

Noëlla Rouget. La déportée qui a fait gracier son bourreau Tallandier, 256 pp., 19,90 € (ebook : 13,99 €).

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