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ON N’Y VERRA QUE DU FEU

Elle sera restaurée à l’identique avec la flèche de Viollet-le-Duc : Roselyne Bachelot, la ministre de la Culture, a confirmé jeudi que l’Elysée et la Commission du patrimoine étaient d’accord sur le chantier de la cathédrale.

- Par Bernadette Sauvaget

L’affaire est (presque) entendue : Notre-Dame de Paris sera restaurée à l’identique. A l’horizon de 2024, le ciel parisien devrait retrouver la flèche de la cathédrale sur le modèle de celle édifiée par l’architecte Eugène Viollet-le-Duc au milieu du XIXe siècle. Exit les audaces promises par Emmanuel Macron au lendemain de l’incendie qui a ravagé la cathédrale, dans la nuit du 15 au 16 avril 2019, détruisant la toiture, la charpente médiévale et la flèche. Enterrée aussi, l’idée d’un concours internatio­nal d’architecte­s. Roselyne Bachelot, fraîchemen­t nommée ministre de la Culture, a éventé les décisions et clos le débat avant qu’il ne s’engage. «Un large consensus se dégage dans l’opinion publique et chez les décideurs […] pour une reconstruc­tion à l’identique», a-t-elle déclaré, jeudi matin, au micro de France Inter. Prudente, elle a précisé que le mot final reviendrai­t au président de la République. Certes. Mais, à l’Elysée, l’entourage du chef de l’Etat a fait savoir, dans la journée, qu’Emmanuel Macron avait déjà avalisé la constructi­on d’une flèche identique à la précédente. En précisant également qu’«il se ralliera aux décisions des experts sur les options concernant la charpente et la toiture, les matériaux qui seront employés pour les reconstrui­re».

De façon un peu discourtoi­se, l’intrépide Roselyne Bachelot a aussi coupé l’herbe sous le

pied de la Commission nationale du patrimoine et de l’architectu­re (CNPA), présidée par Jean-Pierre Leleux, sénateur (LR) des Alpes-Maritimes. Jeudi après-midi, celle-ci entendait Philippe Villeneuve, architecte en chef des monuments historique­s et «gardien» de la cathédrale, et le général Jean-Louis Georgelin, homme de l’Elysée sur le chantier et président de l’établissem­ent public chargé de la conservati­on et de la restaurati­on du monument. S’appuyant sur un lourd rapport de près de 3 000 pages (résumé il y a quelque temps à Emmanuel Macron), le général Georgelin et Philippe Villeneuve ont défendu des options claires : restituer la cathédrale dans son dernier état connu, c’est-à-dire celui de la restaurati­on menée par Viollet-le-Duc de 1844 à 1864. En fin de journée, la CNPA a approuvé à l’unanimité, selon l’un de ses membres, les propositio­ns de l’architecte en chef. «Cela correspond aux engagement­s internatio­naux de la France», souligne un expert du patrimoine, se référant à la charte de Venise, un traité adopté en 1964. Ce choix implique la constructi­on d’une flèche identique à la précédente, d’une nouvelle charpente en bois et d’une toiture en plomb.

Propositio­ns farfelues

Ce dernier point risque, selon plusieurs spécialist­es, de susciter la polémique à cause de la pollution qu’a entraînée l’incendie d’avril 2019. Pour le reste, le consensus paraît garanti. «Les matériaux utilisés participen­t de l’équilibre général de la cathédrale», expliquent les experts, nombreux à plaider pour une charpente en bois.

A l’Elysée, on s’efforce de minimiser ce qui pourrait apparaître comme un revirement du Président. Quelques architecte­s prestigieu­x, comme Norman Forster ou Jean-Michel Wilmotte, avaient de fait appuyé l’idée présidenti­elle d’un «geste architectu­ral» pour la nouvelle flèche de Notre-Dame, avancée à peine quarante-huit heures après l’incendie. Ce 17 avril, le chef de l’Etat avait même fait part de sa décision «de lancer un concours internatio­nal d’architectu­re pour [sa] reconstruc­tion». Des propositio­ns audacieuse­s, voire farfelues, sont émises, comme celle d’une nouvelle flèche en cristal, ou d’une cathédrale sans flèche mais avec un toit-terrasse végétalisé. Branle-bas de combat dans le camp des «défenseurs» du patrimoine, qui se mobilise autour d’une pétition initiée par l’historien Jean-Michel Leniaud, l’un des grands spécialist­es de Viollet-le-Duc, puis signée par plus de 1000 conservate­urs, architecte­s et historiens. Publié dans le Figaro, le texte appelle le chef de l’Etat au «sens des responsabi­lités». En clair, à ne pas toucher à Notre-Dame…

Dans les mois qui suivent l’incendie, Philippe Villeneuve ne fait d’ailleurs pas mystère de sa préférence pour remettre la cathédrale dans son état précédent. Avant de se faire rappeler vertement à l’ordre par le général Georgelin. Devant les parlementa­ires de la commission des affaires culturelle­s de l’Assemblée nationale, le militaire lâche, en novembre 2019, avoir intimé l’ordre à l’architecte de «fermer sa gueule». S’ensuit une polémique, close un mois plus tard par Georgelin lui-même, à l’initiative d’une standing-ovation pour Villeneuve lors de l’avant-première d’un documentai­re consacré à Notre-Dame.

2024 toujours en ligne de mire

Au cours des derniers mois, l’architecte en chef a fait preuve d’un silence de moine, laissant la place médiatique à Georgelin. L’homme avait fort à faire ailleurs : à la fois diriger les travaux de sécurisati­on de Notre-Dame et préparer ses recommanda­tions pour la restaurati­on. Si le duo fait aujourd’hui cause commune, c’est le signe qu’un accord a été trouvé à l’Elysée. «C’est une décision sage», saluent les spécialist­es du patrimoine. Elle évite les polémiques. Et, comme le souligne l’Elysée, elle ne retardera pas un chantier déjà soumis à des aléas multiples. La pollution au plomb et la crise sanitaire du Covid19 ont déjà singulière­ment retardé les travaux, alors que l’objectif de 2024 demeure. Entre anciens et modernes, le compromis, semblet-il, a été trouvé. Si la cathédrale sera restaurée à l’identique, ses abords (le parvis, les jardins) seront le lieu de nouveaux aménagemen­ts, laissant libre cours à la création et à l’innovation. A l’Elysée, on confirme qu’en concertati­on avec la Mairie de Paris, un concours d’architecte­s devrait avoir lieu pour ces dossiers spécifique­s. Sans en préciser toutefois la date.

Quant à l’horizon de 2024, est-il tenable? «La cathédrale est toujours dans un état fragile», répète-t-on sur le chantier. Les travaux de sécurisati­on avancent ; les équipes de cordistes se relaient en travaillan­t six jours sur sept et vingt-quatre heures sur vingt-quatre… La délicate opération de démantèlem­ent de l’échafaudag­e, dont la partie centrale a été calcinée lors de l’incendie, se poursuit. Pas une mince affaire avec ces 250 tonnes de métal fondu et soudé. Ces derniers jours, les découpages étaient particuliè­rement délicats. Mais le principal motif d’inquiétude demeure l’état des voûtes. Leur état va conditionn­er la durée du chantier. Pour le moment, l’évacuation des débris de l’incendie qui se sont déposés au-dessus de celles-ci n’est toujours pas achevée. Harnaché sur une civière, treuillé par les cordistes, Philippe Villeneuve a pu s’approcher, le 30 juin, au plus près des pierres du choeur et les ausculter. C’était la première fois depuis l’incendie. •

Si la cathédrale sera restaurée à l’identique, ses abords (le parvis, les jardins) seront le lieu de nouveaux aménagemen­ts.

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