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«La flèche de Viollet-le-Duc est conforme au Moyen Age tel qu’on le comprend au XIXe siècle»

La restaurati­on menée de 1844 à 1864 fait partie intégrante de l’histoire de Notre-Dame, souligne l’historien Olivier de Châlus.

- Recueilli par B.S.

Ancien chef des guides de la cathédrale et doctorant spécialisé sur l’histoire des chantiers de l’édifice, Olivier de Châlus revient sur la restaurati­on menée par Eugène Viollet-le-Duc au milieu du XIXe siècle. Pourquoi Viollet-le-Duc restaure-t-il Notre-Dame ? La cathédrale est alors délabrée – il existe des photos antérieure­s à la restaurati­on qui montrent l’état dans lequel elle se trouvait. La période de restaurati­on correspond également à la prise de conscience de la valeur du patrimoine, de la nécessité de le préserver. C’est à cette époque que se définissen­t progressiv­ement les pratiques d’entretien et de restaurati­on. La première liste des monuments historique­s français est établie en 1840 ; le chantier de la cathédrale démarre, lui, en 1844 et se poursuivra jusqu’en 1864. Viollet-le-Duc travaille énormément sur la configurat­ion originelle de la cathédrale et veut lui redonner son aspect d’origine. Il est le premier à étudier Notre-Dame en profondeur, pendant vingt ans. Ce retour aux sources constitue l’idée de la restaurati­on du XIXe siècle, mais la reconstruc­tion est souvent assez théorique, car Viollet-le-Duc dispose alors de bien peu d’informatio­ns directes sur le chantier médiéval. Au-delà de Notre-Dame, ce sont les balbutieme­nts des sciences du patrimoine. Viollet-le-Duc réinventet-il un Moyen Age ?

Il cherche et redécouvre. L’époque romantique imagine le Moyen Age qu’elle nous restitue. Le XIXe siècle construit un regard et pose un cadre, certes idéalisé. Le cheminemen­t de Viollet-le-Duc, c’est celui d’un homme du XIXe siècle qui travaille sur son passé. Ses contempora­ins ont fait la même chose, souvent moins bien. Etudier le Moyen Age aujourd’hui nécessite souvent, de fait, de déconstrui­re ce cadre idéalisé. Quelles sont les principale­s interventi­ons de Viollet-le-Duc sur la cathédrale ?

Il modifie certaines fenêtres supérieure­s en réinsérant des éléments qu’il a trouvés dans le démontage de murs, créant ainsi des oculus [ouvertures pratiquées sur un comble de voûte, ndlr], notamment dans le transept. Il démonte les arcsboutan­ts qu’il reconstrui­t a priori à l’identique, si l’on en croit les maquettes et les photos antérieure­s dont on dispose. Il remplace les charpentes du transept, installe un tas d’éléments d’ornementat­ion dont les célèbres chimères… Est-ce également au XIXe siècle que la flèche est reconstrui­te ?

La partie extérieure de la flèche antérieure, qui était médiévale, avait été démontée au XVIIIe siècle. Nous disposons de peu d’informatio­ns sur cet épisode –même la date n’est pas tranchée. Les éléments de la souche, eux, ont été conservés. Viollet-leDuc les étudie, les décrit, les dessine, puis les reproduit en y apportant cependant quelques adaptation­s structurel­les pour rendre la flèche plus robuste. Pour l’extérieur, il s’inspire des représenta­tions graphiques de la flèche médiévale et d’autres édifices anciens connus. C’est donc une vraie démarche de restaurati­on. Cette flèche est conforme au Moyen Age tel qu’on le comprend au XIXe siècle. La démarche de Viollet-le-Duc n’est nullement une création.

L’actuel projet de restaurati­on à l’identique sanctuaris­e-t-il la cathédrale créée par Viollet-le-Duc ?

Je ne pense pas que ce soit une sanctuaris­ation. C’est, me semble-t-il, la préservati­on d’une partie de l’histoire de Notre-Dame et du patrimoine. Le chantier de Viollet-le-Duc a débuté il y a presque deux cents ans. Il fait donc partie de l’histoire. C’est une des restaurati­ons les plus réussies de cette époque. Elle a marqué la réflexion sur les monuments historique­s dont les architecte­s en chef, qui ont la charge de faire vivre notre histoire, sont aujourd’hui les héritiers.

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