Le pari en commun de Piolle et Hidalgo
Après le succès des listes d’union aux municipales, les maires «humanistes» tentent de dépasser les partis pour porter des revendications nationales, avec l’idée de faire des villes un laboratoire pour 2022.
Chaque famille politique a sa mythologie, avec ses dates qu’on célèbre et ses histoires qu’on se raconte. Selon les événements du présent, certaines se remettent à circuler. A gauche, depuis qu’une petite vague sociale-écolo a déferlé sur les villes, on convoque les municipales de 1977. Pour se donner du courage, on se rappelle le triomphe de la gauche unie qui aurait préfiguré l’élection de Mitterrand en 1981. Nathalie Appéré, la maire PS de Rennes, veut croire que le cru municipal 2020 représente «la victoire de l’affirmation de la gauche quand elle sait s’unir, qui doit nous redonner un espoir national». On cite aussi le socialisme municipal qui a transformé la commune en laboratoire doctrinal à partir de la fin du XIXe, avant l’arrivée au pouvoir du Front populaire en 1936. «La gauche responsable qui met les mains dans le cambouis s’est affirmée dans les villes», affirme Appéré. L’expérimentation, désormais, n’est plus seulement sociale. «A l’échelle du quotidien, on a vraiment prise sur l’écologie et la participation citoyenne», explique la nouvelle maire écolo de Poitiers, Léonore Moncond’huy.
Changer d’échelle
A gauche, l’heure est donc à la commune et certains maires, qui pensent avoir un rôle à jouer, ont décidé de ne pas en rester au stade des incantations. A la veille du second tour, Anne Hidalgo et Eric Piolle, la socialiste et l’écolo qui règnent sur Paris et Grenoble, ont commencé à passer des coups de fil aux candidats de la gauche pour bricoler un réseau de villes «humanistes». «Il faut qu’on se mette en réseau pour partager nos expériences et échanger sur les bonnes pratiques», affirme Michaël Delafosse, le nouveau maire PS de Montpellier, qui a été contacté par Hidalgo. Cette fédération de villes de plus de 100000 habitants, qui doit être officiellement lancée à la rentrée, servira aussi à faire du lobbying. Delafosse imagine par exemple une coordination pour intégrer des clauses environnementales aux appels d’offres et, ainsi, forcer les entreprises à s’adapter. Il s’agit de «porter des revendications à l’étage national, des batailles devant le gouvernement», explique l’entourage de Piolle. Des sujets d’attaque ont déjà été listés: l’état de l’hôpital, l’accueil des migrants, le droit de vote des étrangers ou encore un «green new deal», un plan de relance vert sur tout le territoire. Dans le clan Hidalgo, on assume s’inscrire dans la logique du dépassement des partis, que le scrutin municipal est venu installer à gauche. Jean-Louis Missika, qui pilotait Paris en commun, la plateforme qui a porté la candidature de la maire, et s’affaire à construire ce réseau de villes, analyse: «Les Jadot qui se sont précipités sur les plateaux télé pour dire que les résultats étaient le symbole de leur réussite ou de la justesse de leur analyse se trompent. Ce qu’il s’est passé, ce n’est pas la victoire d’un parti, c’est l’apparition de coalitions ou de plateformes citoyennes qui avaient pour vocation de dépasser les partis.» Le réseau est l’aboutissement de ce pari: il ne s’agit plus seulement de dépasser le parti en s’ouvrant à d’autres appareils mais en changeant d’échelle, en partant des communes. Aller du bas vers le haut, avec des plateformes locales qui font émerger des idées et des sujets à l’échelle nationale, plutôt que du haut vers le bas, avec un parti qui chapeaute des fédérations. Olivier Faure, le patron des socialistes, ne s’en émeut pas, il hoche la tête dès qu’il entend le mot rassemblement. «On lui en a parlé mais pas en amont, précise Emmanuel Grégoire, premier adjoint d’Anne Hidalgo. Faure est proche de tout ça mais il gère un parti politique qui est par définition conservateur à l’endroit de tout ce qui met en cause sa position de centralité. Et c’est comme ça que les partis meurent.» Dans le langage du camp Piolle, ça donne : «Les partis politiques restent des lieux structurants mais les villes, du côté de ceux qui font, peuvent aussi contribuer à la conquête.» Le maire de Grenoble brode depuis un moment autour du rôle des villes pour «bousculer les codes et changer la vie». Et puisqu’il ne cache pas son ambition pour 2022, le réseau fait un peu penser à un bélier destiné à ouvrir les portes du pouvoir national depuis sa base municipale.
«Dynamique collective»
Derrière le projet collectif, il y a des histoires personnelles. La fédération de villes raconte celles d’Eric Piolle et d’Anne Hidalgo. Ce projet, c’est eux. «Ils en ont causé en marge de la célébration du 18 juin au MontValérien», explique un proche du Vert. Grenoble et Paris font partie des cinq villes compagnons de la Libération. Depuis six ans, c’est comme ça qu’ils ont appris à se connaître. «Ils se sont connectés sur ces questions de Résistance», affirme ce même proche d’Eric Piolle. Il parle «tradition de villes debout» et «moment où l’histoire d’une commune rencontre l’histoire de France». Pendant leur mandat, l’écolo et la socialiste ont soutenu des initiatives communes, en faveur de l’accueil des migrants par exemple, et promu des modèles de ville similaires, avec les mots clés «transition écologique» et «justice sociale». Mais il y a «un avant et un après l’élection», reconnaît-on dans l’entourage du premier. Avant le premier tour, alors qu’un candidat écolo affrontait Anne Hidalgo à Paris, Piolle a pris la pose avec la sortante. Une façon, pour elle, de montrer qu’elle incarnait l’écologie. Pour lui, de mettre en images une stratégie politique. Car pendant qu’il s’affichait avec Hidalgo, l’eurodéputé Yannick Jadot renvoyait la maire de Paris à la vieille gauche et tapait très fort des mains pour soutenir l’hypothèse d’une alliance entre le candidat EE-LV David Belliard et Cédric Villani, ex-LREM. Le temps de la campagne, Paris est devenu le terrain d’un duel entre deux écolos, deux ambitions présidentielles et deux lignes qui s’affrontent au sein d’EE-LV. L’union de la gauche qui a fait sa transition environnementale pour Piolle, une voie plus centriste pour Jadot. «Notre objectif n’était pas d’être les arbitres entre les deux mais le cas de Paris est signifiant des réussites et des insuccès de chacun», note Emmanuel Grégoire. L’entourage de Piolle assure que leur réseau citadin n’est pas une écurie. Ni pour lui, ni pour elle, abonde le camp Hidalgo. Depuis des mois, la maire de Paris répète qu’elle ne pense pas à la présidentielle mais certains, parmi ses proches, le font à sa place. «Paris en commun» a d’ailleurs été transformé en parti politique. «Certains préfèrent être premiers chez eux que contribuer à une dynamique collective, grince Patrick Kanner, le patron des sénateurs socialistes. Anne Hidalgo fait partie de la solution à gauche mais est-ce qu’elle est la solution ? Elle sera peut-être le point de cristallisation le moment venu mais Paris n’est pas la France et la vérité ne passe pas par des expériences locales.» Comme lui, certains socialistes encore attachés à leur vieux parti ne voient pas d’un très bon oeil cette aventure communale. «Ça sert aux maires qui veulent incarner quelque chose pour la suite mais le local ne peut pas tout résoudre, juge Stéphane Le Foll. Piolle ne pourra pas dire : “Ce que j’ai fait à Grenoble, je le fais en France”. Tant qu’on reste sur le local, on n’est pas sur les sujets qui fâchent. Il ne suffit pas de s’allier pour se mettre d’accord.» Le maire du Mans convoque lui aussi ses cours d’histoire: «Le socialisme municipal a permis de poser la question sociale mais la conquête du pouvoir s’est faite avec le Parti socialiste.» •
«La victoire de la gauche quand elle sait s’unir doit nous redonner un espoir national.»
Nathalie Appéré maire PS de Rennes