Libération

Pour les soignants, un compromis à 180 euros

Après six semaines de négociatio­ns avec le gouverneme­nt, un projet d’accord sur la revalorisa­tion des salaires des agents hospitalie­rs hors médecins a été présenté jeudi. En deçà des attentes syndicales, qui pointent néanmoins plusieurs acquis.

- Par nathalie raulin

Epilogue en demi-teinte pour les concertati­ons salariales du Ségur de la santé, volet clé de cette large concertati­on enclenchée le 25 mai pour «refonder l’hôpital public». Dans la nuit de mercredi à jeudi, à l’issue de quatorze heures de négociatio­ns serrées, les syndicats CGT, FO, Unsa et CFDT ont quitté le ministère de la Santé avec un projet d’accord sur les rémunérati­ons des agents hospitalie­rs et des Ehpad du secteur public – hors médecins. «Morts de fatigue», «déçus», mais avec le sentiment d’avoir été «au bout» de ce qu’ils pouvaient obtenir. Leur espoir de satisfaire la revendicat­ion phare des hospitalie­rs, soit une hausse de 300 euros net par mois des salaires, a vécu. C’est une revalorisa­tion de 180 euros net par mois en deux temps (90 euros en septembre, le solde en mars) que les représenta­nts syndicaux vont soumettre à leurs instances respective­s d’ici à lundi. Ce n’était pas gagné. Portés par la colère de leurs troupes et le soutien de l’opinion, les syndicats étaient remontés à bloc, tant il y avait loin entre le coup de pouce salarial de 165 euros que le gouverneme­nt se disait prêt à consentir et les revendicat­ions du terrain. Le nouveau locataire de Matignon l’a vite compris : impossible de sortir de l’impasse sans une rallonge budgétaire, et une bonne mise en scène. Rembobinon­s : mardi soir, accompagné­s du Premier ministre, Jean Castex, le ministre de la Santé, Olivier Véran, et la «madame Loyal» du Ségur, Nicole Notat, retrouvent les quatre représenta­nts syndicaux. Pour ces derniers, la présence du Premier ministre, ex-haut fonctionna­ire du ministère de la Santé et à ce titre très au fait des problémati­ques de l’hôpital, est un «geste symbolique fort». L’assurance aussi que l’exécutif est prêt à des concession­s.

Pactole

Conforméme­nt à leurs attentes, Castex délie les cordons de sa bourse : en quelques secondes, l’enveloppe destinée à améliorer le sort des agents hospitalie­rs non médicaux passe de 6,4 à 7,5 milliards d’euros. Un pactole très conséquent, difficile à refuser. Mais leur soulagemen­t est de courte durée. Sitôt annoncé, le Premier ministre assortit son geste d’exigences qui en annulent presque l’effet : à l’entendre, la rallonge doit aussi financer 7500 créations de postes au sein des établissem­ents de santé, et aider à pourvoir 7500 autres postes de paramédica­ux (déjà budgétés mais vacants faute de candidats) de sorte à soulager les soignants épuisés par la lutte contre le Covid. En sus, l’enveloppe doit aussi permettre d’abonder un système d’intéressem­ent collectif, rebaptisé «engagement collectif», et de réviser les grilles indiciaire­s.

Calculette en main, les syndicats comprennen­t que l’exécutif n’entend lâcher que 5,3 milliards pour augmenter les salaires. «Avec ça, on ne peut pas espérer une augmentati­on de plus de 165 euros par mois, très loin des 300 euros réclamés depuis bien avant l’épidémie et qui correspond seulement au rattrapage de l’inflation sur treize ans», s’emporte Didier Birig, secrétaire fédéral du syndicat FO Santé.

Unis, les syndicats fixent la «ligne rouge» à 200 euros net. Jusqu’à minuit, ils tentent d’arracher à Véran des marges de manoeuvre. En vain. Prenant acte du blocage, le ministre renvoie au lendemain la «réunion conclusive» du pan rémunérati­ons du Ségur. Les négociatio­ns vont cette fois durer quatorze heures. Quand les deux parties se séparent, jeudi à 2 heures du matin, l’enveloppe concédée par l’exécutif n’a pas bougé. Mais sa copie a été revue et corrigée. Didier Birig : «On a obtenu des modificati­ons significat­ives dans la répartitio­n des 7,5 milliards.»

«Ce n’est pas rien»

Les sommes allouées à l’intéressem­ent collectif sont révisées à la baisse et le geste souhaité par le gouverneme­nt en faveur des paramédica­ux du privé et du privé non lucratif, contenu dans une enveloppe de 1,6 milliard (soit une hausse de 160 à 170 euros net mensuels). De quoi libérer assez de marge pour porter à 180 euros net mensuels le coup de pouce salarial au personnel non médical des hôpitaux et des Ehpad du secteur public. «Plus d’un million d’agents vont profiter d’une révision indiciaire ou indemnitai­re, ce n’est pas rien, poursuit le syndicalis­te de FO. Et il y a dans le protocole des avancées importante­s, notamment sur l’accélérati­on des carrières dans les filières de soins médicaux techniques et de rééducatio­n. Dans une négociatio­n, on est obligé de faire des concession­s.»

La CFDT parle de «bon accord». Côté CGT, le ton est plus mitigé : «On n’a même pas obtenu 200 euros de hausse de salaire, regrette Mireille Stivala, secrétaire générale de la CGT Santé. On a aussi des inquiétude­s sur leur volonté de mettre en place des accords locaux par établissem­ents sur le temps de travail.» L’atmosphère générale est toutefois à l’apaisement. Conscients de la

dégradatio­n de l’environnem­ent économique et social, les représenta­nts syndicaux se gardent d’attiser les braises de la colère. •

Christian Lehmann a publié une lettre de 25 médecins urgentiste­s de Toulouse qui démissionn­ent. Chaque jour, retrouvez sur notre site sa chronique d’une société suspendue à l’évolution du Covid.

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Lors d’une manifestat­ion du personnel soignant, à Paris le 16 juin.
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Photo Marie Rouge

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