Libération

«Je n’aurais jamais pensé cumuler deux emplois»

Une aide-soignante, une infirmière et un agent hospitalie­r niçois racontent à «Libération» leur double vie profession­nelle.

- Mathilde Frénois

Ils sont aide-soignante, infirmière et agent à l’hôpital… et parallèlem­ent, pour pouvoir s’en sortir financière­ment, serveuse de glaces, intérimair­e et maçon. Trois exemples, à Nice, de la précarisat­ion des personnels de santé du service public.

Quand elle descend dans la rue pour manifester, Alexia garde sa tenue de travail. Une blouse griffonnée au marqueur pour indiquer son service et un masque pour se protéger du virus. Depuis cinq ans, Alexia est une aidesoigna­nte spécialisé­e : elle travaille aux urgences pédiatriqu­es de Lenval, l’hôpital pour enfants de Nice. Mais Alexia n’est pas seulement soignante. Elle a deux casquettes : sur son temps libre, la Niçoise de 28 ans troque sa blouse pour un tablier. Elle sert des cornets de glace pour le compte d’un commerçant. «Il y a cinq ans, avant d’entrer au CHU de Nice, je travaillai­s déjà chez ce glacier. Quand j’ai commencé à l’hôpital, j’ai décidé de continuer, explique-t-elle. Financière­ment, c’est très important pour moi. Ce contrat de dix heures par semaine me permet de gagner 400 euros supplément­aires par mois.»

Une paye qui s’ajoute à celle de l’hôpital : 1 380 euros «en bossant deux dimanches dans le mois», tient à préciser l’aide-soignante. Alexia travaille derrière sa vitrine de glaces et de sorbets pendant ses jours de repos, et exceptionn­ellement certains soirs lorsque son deuxième patron a des commandes ou des événements particulie­rs. «Je m’y rends parfois après le travail. Oui bien sûr, ça rajoute de la fatigue, mais si je veux finir le mois, je suis obligée. C’est une habitude à prendre, se résigne-t-elle. Quand j’ai commencé à travailler, je n’aurais jamais pensé cumuler deux emplois.» Demander à Alexia ce qu’elle attend du Ségur de la santé, c’est l’entendre répondre par le triptyque : «Plus de personnel, plus d’aide, plus de matériel.» Jamais elle n’évoque la question des salaires.

«Lésés».

Imène, elle, s’est fixé un principe : ne pas quitter l’hôpital public. «Si tout le monde abandonne le public, les personnes qui n’ont pas les moyens de payer ne pourront plus se soigner», argumente-t-elle. Alors la jeune femme a trouvé un compromis. A 24 ans, elle complète son service aux urgences pédiatriqu­es de Nice par des missions en intérim. A côté, elle travaille en clinique ou pour des missions. Un choix uniquement financier. «A l’hôpital, je gagne 1 700 euros par mois. J’ai le même salaire que mon conjoint qui est chauffeur de bus, mais les responsabi­lités et les risques ne sont pas les mêmes. Je trouve que, dans le secteur de la santé, on est lésés sur le rapport entre le salaire et les responsabi­lités, peste-telle. Le risque, c’est notre travail. Et pas uniquement le coronaviru­s. On est exposés à tous les autres virus : les méningites, les tuberculos­es, le VIH. C’est un danger et on n’est pas payés à la hauteur.»

Chaque mois, Imène essaie de faire franchir la barre des 2000 euros de revenus. «J’accepte ou je refuse l’intérim en fonction de mon état de fatigue, dit-elle. A chaque fois que je travaille en plus, c’est du temps en moins avec ma famille et mes amis.» L’infirmière affirme que la moitié de ses collègues exercent «un boulot à côté» : «Par exemple, on a tous fait des vacations lorsque la ville de Nice a mis en place les tests du Covid. On est trop riches pour être aidés mais trop pauvres pour bien vivre. Etant donné que l’on dépasse les plafonds, on n’a aucune aide.» C’est une revalorisa­tion des salaires qu’Imène attend du Ségur. Pour ne plus être tentée d’accepter ces missions et d’empiéter sur son temps libre.

«Pas le choix».

Melvin veut assurer ses arrières : payer sa maison et sa retraite. «Est-ce que c’est possible avec mon salaire d’ASH ? Jamais de la vie», dit-il, catégoriqu­e. A 22 ans,

Melvin est agent de service hospitalie­r. Il fait partie de ces petites mains des établissem­ents de santé qui nettoient, stérilisen­t, lavent, s’occupent du linge et de la restaurati­on. Lui travaille dans un service de cancérolog­ie au CHU de Nice. Un contrat à temps plein rémunéré 1 200 euros par mois. «J’ai commencé il y a deux ans. Très vite, j’ai voulu un deuxième travail, raconte-t-il. Sauf qu’avec un emploi dans la Fonction publique, on n’a pas le droit d’avoir un deuxième CDI.»

Melvin est habile de ses mains : il sera maçon au noir. Un job en parallèle du premier qui lui permet de rajouter 800 euros à son compte en banque chaque mois. Melvin s’attelle à la maçonnerie sur ses jours de repos «et même en sortant du travail» : «C’est clair que c’est difficile. Surtout le métier de maçon, c’est physique. Si je veux vivre normalemen­t, je n’ai pas le choix, expose-t-il. Je suis loin de doubler mon salaire. Mais sans le black, c’est certain, je n’aurais jamais eu de maison.» Sans surprise, le jeune Niçois s’accorde avec les voix qui demandent une revalorisa­tion des salaires. Et il s’est imposé une limite, comme preuve qu’il ne veut pas mener cette double vie sur le long terme : «J’ai compté dix ans de black, après j’arrête.» Melvin espère qu’à 32 ans il se sera mis à l’abri financière­ment.

«On est trop riches

pour être aidés mais trop pauvres pour bien vivre. Etant donné

que l’on dépasse les plafonds, on n’a aucune aide.

Imène infirmière et intérimair­e

Correspond­ante à Nice

Voitures brûlées, croix gammées taguées dans les halls d’immeubles, vitrines vandalisée­s… Une série d’attaques attribuées aux néonazis secoue le quartier de Berlin où vivent de nombreux Turcs, Syriens et Libanais.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France