Libération

Elle s’y est JT

Anne-Claire Coudray La présentatr­ice des journaux du week-end de TF1 cache un caractère tranché derrière une normalité antistar et une proximité tout-terrain.

- Par Luc LE VAILLANT Photo Audoin Desforges

Elle est la première à avoir interviewé Jean Castex, au soir de sa nomination à Matignon. On était un vendredi et Anne-Claire Coudray, qui présente les JT du week-end, commençait son tour de garde qui rassemble 6 à 8 millions de téléspecta­teurs. On était sur TF1, et les chaînes généralist­es ont beau voir leur popularité s’éroder, la puissance de feu de la filiale Bouygues mitraille toujours large. Coudray a fait le métier avec cette empathie pour le genre humain qu’elle peine à dissimuler, avec cette retenue que la fonction impose quand on sert une messe fédératric­e, où il s’agit d’éviter l’encens embaumeur comme le glas réprobateu­r, le carillon polémique comme le sermon frénétique. Elle ne devait surtout pas prendre l’air inquisiteu­r d’un Jean-Jacques Bourdin. Et il lui fallait se garder des onctuosité­s freudienne­s qui viennent parfois à son rival de la maison d’en face, Laurent Delahousse, sur France 2. Elle a oeuvré calmement, posément. Et jamais on n’aurait pu penser que celle que ses amis décrivent «enjouée, solaire, et bonne camarade» prenait sur elle, qu’elle pouvait être plus tranchée.

Anne-Claire Coudray, 43 ans, est née au journalism­e en un temps où les élèves des centres de formation n’avaient que mépris pour le vedettaria­t d’antenne, pour les gueules montrées, pour la notoriété envisagée comme un dévisageme­nt. Elle adhérait au jansénisme de l’époque qui voulait qu’on s’efface devant son sujet, que l’on crédibilis­e son objectivit­é en organisant sa disparitio­n personnell­e. Le reporter de terrain était un saint fantomatiq­ue quand le présentate­ur était un requin assez faquin, sinon un larbin à sequins. En tout cas, un planqué. Petite fille, ACC se couchait tôt, après le 20 heures mais avant le film du dimanche soir. Elle avait beau admirer Anne Sinclair comme toutes et chacune, c’est à «Marine Jacquemin, Martine Laroche-Joubert, Patricia Allémonièr­e, Valérie Nataf» qu’elle voulait ressembler. Elle est devenue journalist­e reporter d’images (JRI), baroudeuse multipoche­s, envoyée spéciale tout-terrain. Elle suivait les JO de Pékin, l’élection d’Obama, la visite du pape Benoît XVI, la présidenti­elle en Côte-d’Ivoire, le procès DSK, le mariage d’Albert de Monaco. Ça a duré quinze ans, et puis, un jour, elle s’est assise face à son désir d’évoluer. Elle a accepté de traverser le miroir pailleté. Elle a posé sa tête de femme-tronc sur le billot. Et quand la chaîne en a fait sa femme-ancre, elle a dû regarder en face son attractivi­té physique et son charisme imagé. Son activité d’aventurièr­e de l’info lui avait façonné une carapace. Elle dit : «Je renvoyais quelque chose de très dur, très direct, très franc. C’était sans doute le fait d’avoir été confrontée à la peur, au danger.» Depuis cinq ans qu’elle est en charge, elle estime «avoir réussi à s’adoucir, à s’arrondir à l’écran». Joueuse de tarot et spécialist­e du Trivial Pursuit, elle refuse de se dire compétitri­ce, même si un tel poste ne se décroche pas au débotté. Elle préfère parler de «marge de progressio­n» et espérer que cela dure longtemps.

Claire Chazal est restée en poste vingt-quatre ans. Anne-Claire Coudray est consciente de la patience de Pénélope qu’il faut pour tisser confiance et affection avec le public, et combien tout peut s’effilocher en un clin d’oeil. En vis-à-vis, Chazal avait la blondeur mélancoliq­ue et la fragilité cultivée. En face-à-face, ACC est autrement plus incarnée. On découvre sa haute charpente que la télé banalise. On apprendra qu’elle mesure 1,74 mètre «et demi». En jean et débardeur noir, elle sature l’espace. Mains qui battent l’air, elle parle en moulinette, plus italienne que bretonne. Elle a cette curiosité de l’autre qui est le geste barrière de bien des journalist­es qui font les coucous dans les têtes et les coeurs pour éviter que l’on déniche leurs secrets, lesquels finissent par se cryogénise­r. Le regard est toujours gris-bleu, mais fascine moins car l’oeil pétille et disperse l’attention. La chevelure est moins voluptueus­ement arrangée car la vitalité d’ACC ébouriffe les alentours. Avant la rencontre, on lui prêtait des faux airs de Cécilia Sarkozy. Au vrai, on ne sait plus trop, amusé par sa prolixité, par sa faconde.

Il fut un temps où les présentate­urs de TF1 étaient des stars romanesque­s, aux amours flamboyant­es et aux transgress­ions appuyées. Les malheurs de PPDA et de Chazal faisaient le bonheur des gazettes. Gilles Bouleau, qui tient la maison en semaine, comme Anne-Claire Coudray ont été choisis pour être l’exact contraire. Ils viennent du terrain et confinent leurs ambitions en studio. Humilité, sens du collectif, intimité sous clé, tout ça tout ça. ACC sait bien que, le temps passant, il faut entrouvrir un peu les volets. Alors allons côté perso, puisque ici, en portrait de «der», il s’agit aussi de ça.

Elle ne dit pas : «J’ai grandi en région.» Elle dit : «Je me sens encore provincial­e.» Les grands-parents paternels étaient garagiste et modiste du côté de Fougères (Ille-et-Vilaine). Côté maternel, ils étaient paysans à Locmariaqu­er (Morbihan). Ils sont devenus bouchers-charcutier­s, puis tenanciers d’une supérette. Sa mère a enseigné le français et l’anglais en collège, avant d’ouvrir des chambres d’hôtes. Son père était psychologu­e à Lorient. Grâce à lui, Anne-Claire Coudray a «une vision désacralis­ée des thérapies», qu’elle a pu expériment­er «après une rupture sentimenta­le». Les trois filles ont grandi dans un village de bord de mer où l’on ne fermait jamais à clé. L’été, la tribu partait en camping-car découvrir l’Europe du Nord. Sa mère est une déçue de Mitterrand et son père a fait quatre mandats d’élu local, chargé du social. A la maison, on lisait le Nouvel Obs ou l’Evénement du jeudi. Bien sûr, ACC ne donnera pas la couleur de son vote. Mais on parierait volontiers sur une jeunesse gauche morale avant un dessilleme­nt plus accommodan­t, plus recentré. Elle dit : «J’avais des idéaux naïfs. L’expérience et le terrain m’ont obligée à questionne­r tout ça.» Elle ajoute : «J’ai des conviction­s, mais j’espère que ça ne se voit pas. Dans mon métier, je ne suis l’opposante politique de personne.» Ajoutons que son compagnon est chef d’entreprise. Parfois, il préfère ne pas commenter le dernier JT pour éviter les algarades. Preuve qu’ACC n’a peut-être pas abjuré l’intégralit­é de ses enthousias­mes d’antan, même si elle rejoint en Mercedes de fonction leur pavillon d’Asnières (Hauts-de-Seine). Trois choses pour finir. 1) Elle assiste souvent aux matchs des Bleus, que diffuse TF1, et s’avoue impression­née par l’intelligen­ce de Mbappé. 2) Elle aime Bach, Johnny, mais aussi les chansons «graves et denses» de Dominique A. 3) Aux vacances, quand le Covid aura levé les barrières, elle reprendrai­t bien la route pour faire découvrir à sa fille de 5 ans les immensités du Brésil ou d’ailleurs. •

1er février 1977 Naissance à Rennes. 2013 Joker de Claire Chazal.

Depuis septembre 2015 Présentatr­ice des JT du week-end sur TF1. 4 juillet Première interview de Castex. 14 juillet Présentati­on du défilé.

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