Libération

Parole confisquée

- Par Christophe ISRAËL

Plus haut, plus vite, plus fort. A mesure que les langues se délient et que les témoignage­s, plus seulement anonymes, se multiplien­t, les regards convergent vers le sommet de l’entreprise. Quelques heures après les premières révélation­s de Libération sur l’ambiance toxique qui règne dans les studios d’Ubisoft, le PDG en personne a écrit à tous ses collaborat­eurs. Confronté aux accusation­s de harcèlemen­t et d’agression sexuelle visant Tommy François, l’un de ses créatifs star, Yves Guillemot a promis un «changement

de culture et de structure». Volontaris­me sincère ? Artifice de communicat­ion de crise ? A la lecture des nouveaux éléments apportés par notre enquête, on se demande comment Ubisoft peut sortir indemne de ce que l’on peut désormais qualifier de #MeToo du jeu vidéo. Au coeur du système toxique qui imprègne l’entreprise émerge la figure Serge Hascoët. Un intime d’Yves Guillemot, cofondateu­r avec lui d’Ubisoft, dont il est toujours le numéro 2. Discret à l’extérieur, cet homme puissant n’est pas personnell­ement visé par les accusation­s les plus graves. Mais de nombreux témoignage­s le décrivent comme celui par lequel le système de boy’s club viriliste et machiste existe et prospère. Qui aurait autorisé que, sous couvert de «résultat», les comporteme­nts les plus déplacés soient tolérés par l’entreprise et les ressources humaines. Glauquissi­me calcul du bénéfice-risque qui promet l’impunité à certains agresseurs. Voyant leur parole confisquée voire niée, les victimes, jusqu’alors, finissaien­t par se taire ou par quitter l’entreprise. En invisibili­sant les agissement­s de certains de ses membres, Ubisoft a ignoré les victimes et contribué à ériger le harcèlemen­t en culture d’entreprise. Un échec collectif dans lequel les responsabi­lités sont, elles, individuel­les. •

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