Libération

Abstention En campagne et en ville, l’infortune des urnes

A Vitry-sur-Seine, «on n’est pas entendus, on ne se sent pas concernés»

- Sacha Nelken Envoyé spécial à Vitry-sur-Seine

Quand Jean-Claude Kennedy, maire sortant (PCF) réélu à Vitry-sur-Seine, laisse son siège au doyen de la séance pour diriger l’installati­on du conseil municipal, samedi 4 juillet, il est loin d’imaginer ce qui se trame. Convaincu de retrouver son fauteuil de maire, il se permet un trait d’humour : «M. Afflatet, si vous voulez bien prendre ma place, ce sera momentané, mais je vous la laisse avec grand plaisir.» Une heure et demie plus tard, c’est finalement l’un de ses colistiers, Pierre Bell-Lloch, qui se voit remettre l’écharpe tricolore. Un «putsch», un «hold-up», une «tromperie des électeurs» pour de nombreux élus et habitants. Et pour cause, le nouvel édile n’était pas candidat au poste de maire durant la campagne. «Cela porte le discrédit sur la démocratie locale dans notre ville, qui n’en a pas besoin,

regrette Frédéric Bourdon, candidat divers gauche battu dans les urnes. Il y a une vraie crise démocratiq­ue à Vitry.» 
Car une semaine plus tôt, la plus grande ville du Valde-Marne avait déjà fait parler d’elle : avec un taux d’abstention de 77 %, Vitry est la ville française de plus de 1 000 habitants où l’on a le moins voté au second tour des municipale­s. Sur 45 765 inscrits, seuls 10 347 se sont rendus aux urnes.

Dégoût.

Un vrai problème soulevé par les candidats défaits Frédéric Bourdon et le divers droite Alain Afflatet dès le soir de l’élection, pendant que Jean-Claude Kennedy remerciait, par voie d’affichage, les 4 987 Vitriots qui lui ont apporté leurs votes et se félicitait d’avoir recueilli près de 50% des suffrages exprimés. Ce qui ne représente, en réalité, que 10 % des inscrits. «Kennedy a été réélu parce que personne n’est allé voter, analyse Maria, responsabl­e de l’associatio­n Donnons, aidons, troquons dans le 94.

Que le maire de la plus grande ville du départemen­t ne soit élu qu’avec 5000 voix, c’est un vrai problème. Je veux bien croire qu’il y a eu le Covid mais ce n’est pas la seule raison.» Elle-même n’a pas voté. Tout comme la petite dizaine de personnes venues profiter de la distributi­on gratuite de nourriture de l’associatio­n. «Ici, vous allez avoir du mal à trouver des gens qui ont voté», s’amuse l’un d’entre eux. Quelques mètres plus loin, accoudé à sa moto, Mohammed, 26 ans, tient le même discours: «Je ne connais personne dans mon entourage qui se soit déplacé pour voter. De toute façon, que l’on vote ou pas, ça ne change strictemen­t rien. On n’est pas entendus, on ne se sent pas concernés.» Laurent, 55 ans, est attablé en terrasse, à deux pas de l’église Saint-Germain. Il se dit, lui aussi, «dégoûté de la politique». Pourtant, jusqu’au premier tour des municipale­s, le quinquagén­aire ne rechignait pas à faire son devoir civique. «Que je vote à gauche, à droite, écolo, c’est la même chose. A présent, ce sera sans moi», prévient-il.

Pour certains, cette abstention record s’explique également par la gestion de la majorité sortante, qu’ils qualifient de «clientélis­te» et qui ne tiendrait pas compte des doléances des habitants et de l’opposition. «Quand on est d’accord avec eux, tout se passe bien, on est écoutés, on a des réponses à nos demandes. Mais si on émet la moindre critique, on n’existe plus pour eux», assure Maria. «Quand on sait à l’avance que les choses qu’on peut proposer pour Vitry ne seront pas prises en compte, ça ne donne pas envie de se déplacer les jours d’élections», affirme Julien, 29 ans.

Sociologie.

Des accusation­s que conteste Jean-Claude Kennedy: «Le clientélis­me est complèteme­nt hors de ma conception politique. J’estime être un élu sincère qui traite avec tout le monde de la même façon. Si je ne réponds pas favorablem­ent à une demande de logement social, ça n’a rien à voir avec l’identité du demandeur, mais c’est parce que je ne peux pas.» Il explique l’abstention récurrente à Vitry par la sociologie de la ville, très populaire. Selon lui, «c’est un électorat qui s’est toujours senti moins impliqué dans la vie de la ville». Grégoire, vendeur de BD de 42 ans pense aussi que voter n’est pas une priorité pour les familles les plus pauvres : «Ces gens sont préoccupés par plein d’autres choses. La conscience collective est plus compliquée à aller chercher quand on a la tête dans le guidon.»

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A Vitry-sur-Seine, le taux d’abstention a atteint 77 % lors du second tour.
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