Libération

«Choisir entre Biden et Trump montre à quel point les Etats-Unis sont tombés dans la boue»

- Recueilli par A.S.

«Cette élection est un désastre des deux côtés. Joe Biden et Donald Trump sont-ils vraiment les meilleurs hommes politiques que nous ayons? Normalemen­t, le Président est censé être bien au-dessus du lot. Or Biden a 200 ans et Trump est minable. Avoir à choisir entre ces deux-là montre à quel point les Etats-Unis sont tombés dans la boue. Pourquoi en sommes-nous arrivés là ? Spontanéme­nt, je dirais que c’est à cause des républicai­ns, mais en réalité, c’est un enchaîneme­nt d’événements. Tout remonte à George W. Bush. Il a été tellement catastroph­ique en tant que président qu’il a ouvert la voie à Barack Obama. On aurait pu choisir John McCain, qui se présentait face à lui, mais son choix de Sarah Palin comme colistière montrait qu’il n’était pas sérieux, alors que l’on traversait une grave crise économique. Obama a donc été élu et cela a immédiatem­ent entraîné des contre-réactions qui allaient aboutir à la victoire de Trump huit ans plus tard.

«Si Obama avait été un meilleur président, cela aurait été différent. Mais il était trop cool, il ne voulait pas être le méchant Noir. Il aurait pu défendre son Obamacare, l’équivalent de votre sécurité sociale, devant les Américains, mais cela n’a pas été le cas. Au lieu de le faire par étapes, en expliquant mieux aux gens ce qu’il voulait entreprend­re, il l’a lancé sans forcer. Quand Bernie Sanders avait proposé la même chose devant Fox News, le public avait explosé en applaudiss­ements. «Les républicai­ns ont donc dominé le débat et tordu le projet. Par ailleurs, depuis Nixon et peut-être avant, il y a eu un fond de racisme dans leur politique, le backlash [contrecoup] après l’élection d’Obama n’en a été que plus virulent. C’est sûr qu’Obama était intelligen­t, le président le plus cool depuis JFK, mais ça ne suffit pas pour être un bon président.

«Le problème principal à mes yeux, ce sont les républicai­ns qui veulent tout bloquer. C’est eux qui mettent en péril la démocratie. Tout ce qu’ils veulent, c’est le pouvoir. Pas pour faire avancer le pays, mais pour freiner les démocrates. Avec Trump, qui a mis la réputation des Etats-Unis en jeu, on a perdu beaucoup de respect dans le monde. «Je pense que Joe Biden va gagner, j’en suis sûr, même. Et s’il ne meurt pas pendant son mandat, il passera le relais à Kamala Harris – il ne se représente­ra pas. La base de Trump n’est pas aussi solide qu’on le croit. Par exemple, en Floride, les vieux sont républicai­ns. Or les vieux ont peur de la pandémie. «Tout le monde a un rôle à jouer, les écrivains pas plus que les autres. Moi, Américain, écrivain, qui habite à près de 5 000 km des Etats-Unis, d’une certaine façon j’ai abandonné mon pays. J’ai essayé de m’engager dans la campagne des démocrates auprès de Pete Buttigieg et Cory Booker. Mais je n’étais pas assez connu, ils ont refusé. Je pensais pouvoir leur apporter quelque chose sur la question raciale. Mais c’était avant le meurtre de George Floyd, ça ne les a pas intéressés. Je voulais leur parler d’une autre façon de voir cette question. Leur dire de prendre aussi en compte la pauvreté et l’éducation, au lieu de faire croire qu’il suffisait de prendre les Noirs par la main pour améliorer leur vie. Non, il faut trouver un moyen de les inclure dans la vie américaine. Ne plus les appeler Afro-Américains mais Américains. Et arrêter d’en faire des victimes.

«Cette racialisat­ion de tout a conduit par exemple à retirer de certaines bibliothèq­ues le livre de Mark Twain Huckleberr­y Finn, c’est ridicule! Il faut au contraire en parler, avoir un débat sur le mot que personne ne veut prononcer, le «n-word»… [le mot «nègre», ndlr]. Effacer Mark Twain, ça ne sert à rien ! Au lieu de cacher, il faut débattre, honnêtemen­t ! Sinon, on devient une victime.»

Newspapers in French

Newspapers from France