Libération

Lucas Harari, la mort à la plage

L’auteur distille les clichés du cinéma policier et ceux des vacances dans un album réussi, où l’intrigue sur la disparitio­n d’ados compte moins que l’ambiance dans laquelle il nous plonge.

- Quentin Girard

Ça commence souvent comme ça, les histoires. Un jeune brun romantique, en marinière, écrivain en herbe, Martin Eden de Jack London dans une poche, paquet de Winston dans l’autre, passe l’été dans une maison au bord de l’eau. Il boit des bières en regardant la mer. Un jour, il voit une fille. Elle vit dans la villa d’à côté, plus belle et plus design. Elle est blonde, jolie et l’air mystérieux. Le garçon l’observe de loin, en plongée fantasmée, parce que tout ça, c’est du cinéma, et dans nos têtes, on se fait souvent des films sur les femmes, leurs vies, leurs désirs, et le jour où on les embrassera.

Dans l’Aimant, son premier album magistral paru en 2017, Lucas Harari nous emmenait dans les étranges thermes de Vals, en Suisse. L’histoire correspond­ait tellement à son parcours – l’architectu­re – et à ses centres d’intérêt qu’on s’était demandé un instant si ce ne serait pas l’homme d’une seule BD. Heureuseme­nt, avec la Dernière Rose de l’été, il nous prouve le contraire.

Cette fois, on est sur une île, dans le Sud, la belle ligne claire rappelant Yves Chaland est toujours là, mais les couleurs pétillent pour ce thriller adolescent hitchcocki­en et tintinesqu­e. Lucas Harari s’amuse entre le doux été d’une jeunesse qui passe, avec ses soirées alcoolisée­s, ses parties de loups-garous, ses glaces dégustées le long du port et la montée progressiv­e de l’angoisse. Des lycéennes disparaiss­ent et ce qui n’est au départ qu’une informatio­n dans les journaux prend, pour les protagonis­tes, une consistanc­e de plus en plus réelle. Petit à petit, le danger se rapproche.

L’histoire est, somme toute, classique. Harari distille, avec brio, les clichés de la BD, du cinéma policier – le flic à quelques mois de la retraite –, ou des vacances d’été, comme les regards fugaces à la plage et les tours en Méhari. La résolution des crimes n’est pas si importante que ça : ce qui compte, c’est de nous plonger dans une ambiance. C’est un voyage au soleil que l’on échangerai­t bien contre la grisaille parisienne. Et on notera qu’à nouveau, pour ce fils d’architecte­s, le lieu de tous les fantasmes et dangers est une maison de designer. Vivement que la psychanaly­se se poursuive dans le prochain album.

LA DERNIÈRE ROSE DE L’ÉTÉ

de LUCAS HARARI

éd. Sarbacane, 29 €.

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