Libération

TNT A l’Assemblée, la télévision reçoit ses quatre vérités

Après plusieurs mois de travail de sa commission d’enquête, le député LFI Aurélien Saintoul présente ce mardi son rapport contenant 47 propositio­ns. En exclusivit­é, «Libé» en dévoile les principale­s.

- Par ADRIEN FRANQUE

«Ouvrir une brèche dans le bilan de la libéralisa­tion de la télévision.» Voilà l’ambition, selon son auteur le député insoumis Aurélien Saintoul, du rapport de la commission d’enquête sur les fréquences TNT, dont Libération dévoile le contenu en exclusivit­é. Entamés à l’automne, ces travaux parlementa­ires ont connu de nombreuses péripéties, de tensions très médiatisée­s entre les députés en auditions mouvementé­es de Vincent Bolloré ou de Yann Barthès, jusqu’à leur conclusion avec la publicatio­n de ce rapport mardi. Résultat : les 47 propositio­ns formulées par Aurélien Saintoul n’ont pas été avalisées par tous les membres. Neuf d’entre elles sont donc inscrites comme des «propositio­ns à titre personnel du rapporteur». Parmi celles-ci, comme déjà dévoilé par France Info la semaine passée, on trouve ainsi l’interdicti­on de diffusion de programmes jeunesse le matin avant l’école ou la fin de la TNT payante. Des lignes rouges pour le président de la commission d’enquête, le député Renaissanc­e Quentin Bataillon, qui proposera ses propres conclusion­s mercredi. Aurélien Saintoul, lui, voit surtout dans cette réaction une tentative de «contre-feu» pour dénigrer l’ensemble de son rapport. Renforceme­nt du pouvoir de l’Arcom, ouverture du paysage télévisuel, protection des jeunes publics… Autant d’axes explorés par ce dense document de 200 pages qui dresse le sombre bilan d’une «télévision à triple vitesse», entre des «plateforme­s payantes pour ceux qui en ont les moyens, des chaînes premium concentran­t l’essentiel des moyens et des audiences, et des chaînes secondaire­s low cost dont la fonction consiste surtout à empêcher l’arrivée de nouveaux entrants». Tour d’horizon de quelques propositio­ns phares.

RENFORCER LES POUVOIRS DE L’ARCOM

Des amendes pouvant aller jusqu’à 10% du chiffre d’affaires (contre 5% actuelleme­nt) en cas de manquement­s répétés d’une chaîne à ses obligation­s : c’est l’une des mesures chocs de ce rapport. La volonté d’un système de sanction plus dissuasif semble surtout résulter des auditions des dirigeants du groupe Canal +, dont les chaînes CNews et surtout C8 ont plusieurs fois été réprimandé­es par l’Arcom, sans empêcher la récidive. Le rapporteur préconise également de renforcer le rôle du régulateur en le dotant notamment «d’un pouvoir d’enquête sur pièces et sur place pour constater le fonctionne­ment et l’indépendan­ce des rédactions». Une des plus étonnantes pièces à conviction du document est ainsi un mail interne à Canal + (déjà dévoilé dans les Jours) que s’est procuré le rapporteur: le signalemen­t d’un juriste de CNews invitant à reporter la diffusion de l’émission «En quête d’esprit» du 25 février avec ses virulents débats antiIVG, indiquant qu’elle ferait probableme­nt l’objet de signalemen­ts auprès de l’Arcom. Une alerte interne ignorée par la direction de CNews ; l’émission provoquera effectivem­ent des saisines auprès du régulateur. Par ailleurs, le rapport préconise un aménagemen­t du système de décompte des temps de parole politiques, en s’assurant de leur équité «par tranche horaire». Une propositio­n qui s’attaque ainsi au détourneme­nt de ce système par la technique des rééquilibr­ages nocturnes, soit la diffusion d’interviews politiques la nuit. Le rappor

teur propose également de donner au régulateur le pouvoir de sanctionne­r «le manque de représenta­tion de la diversité de la société française». Pour faire face à toute cette charge supplément­aire, il prône aussi le renforceme­nt des effectifs de l’Arcom.

OUVRIR LE PAYSAGE TÉLÉVISUEL

Alors que se déroule actuelleme­nt le processus de renouvelle­ment de quinze fréquences de la TNT (la date limite de dépôt des candidatur­es auprès de l’Arcom a lieu ce mercredi), la commission a pu évaluer au cours des auditions un certain manque de diversité de programmes dans la télévision française, selon le rapporteur. Il propose ainsi de «revoir la procédure d’appel à candidatur­e et les critères de manière à favoriser la diversité de l’offre et les nouveaux entrants». Un des mécanismes envisagés serait par exemple de permettre aux candidats de «s’engager à reprendre une partie définie des salariés et sous-traitants du titulaire précédent évincé». Le rapport veut également encourager «la production de programmes originaux alternatif­s» via «des circuits de financemen­t publics et privés alternatif­s». Un système d’aides publiques pour les «médias audiovisue­ls associatif­s» est ainsi préconisé.

CLARIFIER L’INFORMATIO­N

Plusieurs propositio­ns visent à rendre moins confus le paysage de l’informatio­n télévisée. Si l’idée d’un bannisseme­nt des éditoriali­stes, comme le soumet Aurélien Saintoul, n’a pas été approuvée par le reste de la commission, d’autres mesures vont dans le sens d’une clarificat­ion. Comme la classifica­tion des «programmes d’infotainme­nt» comme des «programmes d’informatio­n politique et générale» auprès de l’Arcom, évacuant ainsi la notion de divertisse­ment. Ou la mise en place de «normes de présentati­on» pour tout intervenan­t à l’antenne, précisant aussi, quand c’est possible, leurs engagement­s politiques. Une mesure qui permettrai­t d’«étoffer la compréhens­ion du “qui est qui” sur les plateaux de télévision», comme le demandait lors de son audition Thibaut Bruttin, adjoint au directeur général chez Reporters sans frontières.

RENFORCER L’INDÉPENDAN­CE ET LE PLURALISME

Les comités d’éthique, mis en place par la loi Bloche en 2016 ? Terminés. Ces instances déontologi­ques, propres à chaque média, n’ont pas fait preuve d’une grande efficacité depuis leur mise en place. Le rapport d’Aurélien Saintoul prône alors de transférer leur capacité d’action aux syndicats, aux Sociétés de journalist­es ou au Conseil de déontologi­e journalist­ique et de médiation (CDJM). Dans le même ordre d’idée, le rapport propose que chaque média d’informatio­n se dote d’une «charte» qui donnerait une définition de sa ligne «éditoriale». Histoire d’«expliciter un projet d’entreprise […] qui donnerait une cohérence à ses choix et permettrai­t de les expliquer dans la durée», note le rapporteur.

PROTECTION DES JEUNES PUBLICS

Autre axe exploré : les programmes jeunesse. Le rapport préconise notamment d’obliger à une «plus stricte alternance d’oeuvres de fiction et d’émissions éducatives», l’interdicti­on «des messages publicitai­res destinés explicitem­ent aux enfants de moins de 12 ans» ou de se pencher, par le biais d’une étude qui serait menée par l’Arcom et l’INA, sur l’évolution historique des programmes étant soumis à la signalétiq­ue jeunesse.

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PhOtO Denis AllArD Vincent Bolloré lors de son audition à l’Assemblée nationale, le 13 mars.

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