A l’Assemblée, le projet de loi agricole entre enfin dans le champ des députés
Promis depuis deux ans, le texte est débattu au Parlement ce mardi. Après le mouvement social cet hiver, il manque d’ambition sur le revenu, le foncier et le renouvellement des générations, selon la gauche et les écologistes.
Plus de deux ans après, la grande loi agricole (LOA) annoncée en 2022 par Emmanuel Macron en pleine campagne pour son second quinquennat naît enfin, au terme de mois d’incertitude. Débattu à partir de mardi à l’Assemblée nationale, le texte sur la «souveraineté en matière agricole et le renouvellement des générations en agriculture» a déjà été remanié plusieurs fois. Ses ambitions ont d’abord été rabougries en fin d’année dernière quand, après six mois de concertation avec toutes les parties prenantes, la Première ministre d’alors, Elisabeth Borne, a présenté les grandes lignes d’un pacte et une loi portant uniquement sur… «le renouvellement des générations». Les propositions, qui reprenaient largement celles des Jeunes Agriculteurs, déçoivent la majorité des acteurs et associations écologistes.
«Cosmétiques». Fin janvier, alors que la présentation du texte est imminente, annulation dans la dernière ligne droite. La mobilisation des agriculteurs, partie d’Occitanie, s’étend alors à toute la France. Dans le week-end précédant la présentation en Conseil des ministres, tout est repoussé «de quelques semaines» pour «étoffer» le texte, jure l’entourage du ministre de l’Agriculture, Marc
Fesneau. Finalement, trois mois après, ce projet de loi à la maïeutique laborieuse débarque enfin au Parlement après avoir été adopté en commission des affaires économiques début mai.
Les députés devront finalement se prononcer sur un texte fourre-tout et laissant peu de prises à des modifications substantielles. Critiqué par la gauche et les écologistes, le projet de loi s’est renforcé ces dernières semaines de deux volets sur la «souveraineté alimentaire», notamment avec la notion juridiquement floue d’une agriculture comme «intérêt général majeur», et sur la simplification (gestion des haies, installations d’élevage ou encore mégabassines) pour répondre aux revendications des agriculteurs les plus productivistes.
Mais il ne comporte rien ou presque sur la rémunération (seule la mention de l’amélioration du revenu a été ajoutée aux objectifs de politiques agricoles) et propose uniquement des mesures jugées «cosmétiques» sur l’installation. «Je ne dis plus que le texte est vide. Au contraire, c’est un vrai projet pour l’agribusiness et contre l’agriculture familiale», juge la députée LFI Aurélie Trouvé, ingénieure agronome et économiste qui faisait partie du groupe de suivi sur la LOA. «C’est une loi hors sol qui passe à côté des sujets fondamentaux, qui sont le renouvellement des générations et le partage de la terre. Tout le reste est assez vain. Le débat politique majeur n’est pas sur la mise en place de France Service Agriculture [un guichet unique pour accueillir les aspirants agriculteurs, ndlr] ou un diplôme de niveau bachelor, mais sur les chances qu’on se donne pour réussir la transition agroécologique», tranche le député socialiste Dominique Potier.
Prévus pour durer deux semaines, les débats devraient achopper sur trois thématiques : l’accès au foncier, alors que près d’un agriculteur sur deux sera en âge de partir à la retraite d’ici 2030 et que l’accaparement des terres et l’agrandissement des fermes sont déjà une réalité ; les diagnostics de sols et climatiques demandés avant les installations, et des mesures de simplification, dont la mise en place d’un «droit à l’erreur», réclamé par Les Républicains, sur lesquels la majorité compte pour faire passer un maximum de mesures. Ces diagnostics ne seront finalement ni obligatoires ni conditionnés aux aides à l’installation.
«Financiarisation». Plus de 4 500 amendements ont été déposés avant l’examen en séance publique. Principal point de crispation, l’article sur la création de groupements fonciers agricoles, qui permettent à des investisseurs d’acheter les terres pour les louer ensuite à des agriculteurs sans contrepartie environnementale, a été supprimé en commission des affaires économiques.
Accusée de mener à une «financiarisation de l’agriculture», la disposition a fait l’unanimité de l’opposition contre elle. Mais le gouvernement ne compte pas abandonner, et prévoit une réécriture avec des «verrous solides», a précisé Marc Fesneau à la Nouvelle République ce week-end. La nouvelle version prévoit ainsi que ces groupements fonciers soient limités en taille, et que les investisseurs n’aient aucune fonction de gestion. «La question fondamentale est toujours là, ce seront des fonds spéculatifs», répond Dominique Potier, qui espère que le dispositif sera une fois encore retoqué.
Pour Pascal Lecamp, corapporteur du projet sur sa partie installation et transmission, qui a fait adopter un amendement fixant à 400 000 le nombre d’agriculteurs visés en 2035 (soit le statu quo par rapport à aujourd’hui), ce chiffre est un «cap qui correspond à une loi d’orientation». «Si on déclare l’agriculture comme intérêt général majeur, il faut mettre les moyens», poursuit toutefois le député Modem. Alors que le corapporteur insiste sur l’ambition de la loi pour «pérenniser l’agriculture familiale française», les associations écologistes appellent les députés à revoir le texte. «Cette loi d’orientation agricole n’oriente rien d’autre qu’une fuite en avant vers u mur toujours plus haut, celui de la disparition des fermes, de la financiarisation des terres et de pratiques agricoles à rebours de l’urgence écologique», dénonce Astrid Bouchedor, responsable de plaidoyer de Terre de Liens.