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BLING-BLING, CRYPTOS ET NFT Babolex, un éléphant qui trade énormément

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- Par Arthur Cerf

Avec ses sculptures chromées en forme de Babar déclinées en une myriade de projets plus ou moins farfelus, l’entreprene­ur français Vincent Faudemer, qui se présentait comme le «petit prince de l’art contempora­in», a su surfer sur les vagues de l’époque : nostalgie, métavers, bitcoin… Jusqu’à ce que près de 200 déçus

l’accusent d’escroqueri­e.

Ce fut la parade des éléphants. En décembre 2019, de grosses caisses arrivent à l’Autre Galerie, une galerie d’art de Nancy. A l’intérieur, des sculptures chromées à l’effigie du célèbre pachyderme créé par Jean et Cécile de Brunhoff. On appelle cela des Babolex, mélange de Babar et de Rolex, pour le côté bling-bling. Il y en a de toutes les tailles : des petits à près de 1 000 euros, des moyens à plusieurs milliers d’euros, des grands à plus de 10 000 euros… et même deux Babolex géants. «Coup de coeur! résume Lara Ledogar, la galeriste. C’est positif, les gens ont besoin de choses positives…»

Les oeuvres lui rappellent la «perfection» du Balloon Dog rose de Jeff Koons, mais aussi l’univers pop de Richard Orlinski, invité quelques mois plus tôt. Le soir du vernissage, l’artiste est présent: Vincent Faudemer, aujourd’hui âgé de 38 ans, le physique d’un grand enfant en costume d’entreprene­ur. Lara Ledogar est ravie, elle l’avait découvert dans un reportage M6. «Le travail était parfait, rien à dire.» Les éléphants sont repartis et la galeriste n’a pas suivi le reste de l’histoire. «C’est le symbole d’une génération nostalgiqu­e, qui cherche à se rassurer en se référant à l’enfance…» Et à la décadence.

Plainte pour escroqueri­e et abus de confiance

Quatre ans et demi plus tard, on veut la peau des Babolex. Près de 200 individus accusent Vincent Faudemer d’escroqueri­e. La Direction générale de la concurrenc­e, de la consommati­on et de la répression des fraudes (DGCCRF) enquête sur ses activités. Le Collectif d’aide aux victimes d’influenceu­rs (AVI) lance l’alerte. L’avocat de cette associatio­n dédiée aux pratiques des escrocs d’un nouveau genre, Me Raphaël Molina, rassemble les dossiers, les captures d’écran, les preuves de virement, en vue d’un dépôt de plainte pour escroqueri­e et abus de confiance à l’été 2024. «Il a promis beaucoup de choses à beaucoup de gens, résume Me Molina. Mais toutes les promesses n’ont pas été tenues.» Un coup de calculette : «Pour l’heure, le préjudice des personnes qui s’estiment victimes s’élève à près de 680 000 euros, en attendant que d’autres plaintes se joignent au dossier.» Sur l’ensemble de son oeuvre, l’entreprene­ur revendique un gain total de plus de 20 millions d’euros.

Sur la plateforme de messagerie instantané­e Discord, les anciens fidèles font l’inventaire de leurs désillusio­ns : des statues de 30 cm, 60 cm, des cartes à collection­ner à ne plus savoir qu’en faire, des NFT – «jetons non fongibles», soit des images dont l’authentici­té et la non réplicabil­ité sont assurées par un identifian­t numérique. Ils le traitent d’escroc profession­nel, de redoutable manipulate­ur, de bien des noms d’oiseaux… Ceci posé, même les plus remontés lui reconnaiss­ent un certain talent. «Très malin, glisse un acheteur. Il arriverait à vendre un frigo à un Inuit.» Un autre nous envoie une photo de ses Babolex sous vitrine dans son appartemen­t. «Aujourd’hui, la trompe a l’allure d’un nez de Pinocchio, dit-il. A chaque fois que je les regarde, je suis en colère.» Ils se posent la question : comment ont-ils pu se faire avoir? Et avec leurs reflets d’argent, les Babar leur tendent un miroir déformant… Attention, prévient Vincent Faudemer quand on lui propose une rencontre, l’arnaqueur ce n’est pas lui, mais ceux qui l’accusent d’en être un. «Nous avons un petit noyau d’individus qui contacte toute la presse francophon­e afin d’avoir des articles contre nous, répond-il dans un premier mail. Ils se sont organisés pour avoir le plus d’impact possible.» Pour le rendez-vous, la réponse se dessine en trois temps. Un : bien sûr, quand vous voulez, tirons au clair cette fâcheuse affaire d’éléphants. Deux : pas si vite, un conseiller en communicat­ion tranchera la question. Trois : c’est d’accord, mais plutôt au mois de mai, une fois de retour de vagues projets en Asie et au Moyen-Orient… Finalement, il répondra par mail. A son tour de sortir la calculette. «J’ai vendu mes différents projets à plus de 28 600 personnes à travers le monde, dit-il. Il y a donc 0,7 % de gens mécontents.» Pas de panique.

Par le passé, on l’a vu moins sur la défensive: protagonis­te d’un reportage M6 en 2018, «petit prince de l’art contempora­in» dans un classement Forbes en 2020, en couverture du magazine Technikart en 2022 pour un papier intitulé «Le Warhol du NFT». Dans le Déclic, un podcast pour jeunes entreprene­urs qui en veulent, il détaillait sa philosophi­e comme une série de posts LinkedIn un peu mous : «Le monde ne nous attend pas, c’est à nous de créer les opportunit­és», «on passe toujours par une petite porte pour entrer dans les châteaux», ou encore : «Il n’y a pas la place au scam.» Arnaque, en français. Que s’est-il passé ?

Pour comprendre, il faut remonter le fil d’une fable moderne qui s’étire de Caen à Dubaï, où se croisent monde de l’influence, mythe de l’argent facile et confusion d’une certaine génération qui, dans une époque de plus en plus illisible et inquiétant­e, se tourne parfois vers les souvenirs régressifs de l’enfance…

Raconter l’histoire de Vincent Faudemer, c’est aussi s’aventurer en une contrée étrange nommée le «Web3», une nouvelle évolution de ce bon vieux World Wide Web, reposant sur des infrastruc­tures décentrali­sées indépendan­tes des institutio­ns et des banques, un univers de faux-semblants mêlant tokens, cryptos et tout un tas de mots nouveaux, un lieu tentaculai­re et insaisissa­ble. Une histoire compliquée, donc, dans une jungle moderne aux confins d’une nouvelle frontière cyber… Et toutes les deux minutes, quelqu’un prononce le mot «Babolex».

Quads, mini-motos et première condamnati­on

Au fil des interviews, Vincent Faudemer a conté la success story qui suit. Début 2008, quand les premiers albums Babar tombent dans le domaine public, il a 22 ans, un diplôme d’école de commerce en poche et un petit business de motocycles qu’il vend devant le Zénith de Caen. L’entreprene­uriat à la papa, la vie de bureau, le train-train du salariat… Très peu pour lui. L’heure est au boom du commerce en ligne, en quelques clics, on peut passer une commande auprès d’un fournisseu­r et l’expédier au client, sans jamais stocker la marchandis­e. Cela porte même un nom : le dropshippi­ng. En 2009, il crée donc une société, Global Trade Corporate… liquidée deux ans plus tard avec un passif de près de 700 000 euros. Un arrêt de la cour d’appel de Caen précise que «la société encaissait à l’avance l’intégralit­é des prix de cession de véhicules, si bien qu’au moment de la cessation d’activité plus de 200 clients avaient acquitté le prix d’achat de leur véhicule et n’ont jamais été livrés». Avec l’argent de la société, Vincent Faudemer louait une Porsche Cayenne.

Baisser les bras, ça ne fait pas très Jeff Bezos. Sur le site de vente en ligne Mecanicsto­re.com, le Normand écoule des quads, des minimotos, des trottinett­es… mais dès 2013, des clients se plaignent de ne pas avoir reçu leurs livraisons. Le 2 février 2016, il est condamné pour escroqueri­e : dix-huit mois de prison ferme, réduits en appel à vingt-quatre mois de prison avec sursis et à dix d’interdicti­on d’entreprend­re une profession commercial­e. Dans sa période pré-Babolex, il a aussi vendu des matelas jusqu’à ce qu’un «impayé de 700000 euros», dira-t-il, mette un terme à l’aventure. «Une répétition générale de tout ce qu’il va faire ensuite», résume Philippe Miller, journalist­e pour le site Warning Trading, spécialisé dans les arnaques en ligne. La légende continue. Fin 2017, voilà notre homme dans le creux de la vague. «T’as des chanteurs

Sur Internet, il emprunte à ceux qui ont su fondre l’art en forme de jouet, la pop culture et le capitalism­e désinhibé : Jeff Koons, Richard

Orlinski ou Christian Audigier.

●●● en Normandie, t’as qu’à faire artiste !» lui lance alors son avocat, selon le storytelli­ng. Très drôle, Vincent Faudemer ne sait pas «tenir un crayon».

Babar, l’artiste et les stars

Quand il regarde les dessins animés avec son fils, il a des dollars à la place des pupilles. L’effet waouh tient en deux syllabes synonymes d’enfance, d’innocence et d’un sacré paquet de pognon : Babar. Depuis les 70 ans de la mort de Jean de Brunhoff, chacun peut s’emparer du personnage à des fins commercial­es. On se débrouille. Une modélisati­on d’un éléphant en trois dimensions et c’est parti. Sur Instagram, Vincent Faudemer passe son profil en mode créatif, publie les visuels et s’invente une vie d’artiste. Il fait aussi monter son nombre d’abonnés grâce à un logiciel dédié, et devient influenceu­r de lui-même. Il l’assure et nous le redit aujourd’hui : le projet venait d’être lancé quand Kourtney Kardashian lui aurait réclamé une statue. Hélas, aucune photo ne peut le confirmer, désolé… Peu importe. Son bébé voit le jour, recouvert de «nitrate d’argent». «Pour le reste, il s’agit d’un secret de fabricatio­n», élude-t-il. Sur Internet, il emprunte aux plus grands, ou en tout cas aux plus malins, ceux qui ont su fondre l’art en forme de jouet, la pop culture et le capitalism­e désinhibé : Jeff Koons, Richard Orlinski ou le créateur Christian Audigier. Si les stars en parlent, c’est gagné. «L’histoire est belle, le Babar est joli, résume un acheteur. Je croyais fort en lui…» Vincent Faudemer se renseigne sur les lieux favoris des célébrités. Hop, Babolex apparaît en photo sur un canapé avec Presnel Kimpembe. Bientôt, il publiera une photo dans la cour de l’Elysée. A la rentrée 2018, son Babolex est exposé au Plaza Athénée, un hôtel de luxe des Champs-Elysées. «Vincent Faudemer pare son Babolex des créations de différente­s maisons», s’enthousias­me le média Sortir à Paris.

Le site de la Galerie Saint-Germain, un e-shop qui travaille «en partenaria­t exclusif avec Vincent Faudemer» et dont le téléphone sonne constammen­t occupé, liste les heureux détenteurs d’un Babolex: Mohamed Hadid, le père des mannequins Gigi et Bella, le rappeur Lacrim, Djibril Cissé… Rendez-vous compte, Djibril Cissé – contacté

Suite de la page 19 par Libération, l’ancien footballeu­r nie en avoir acheté un. «Il m’est arrivé d’offrir des Babolex à différente­s célébrités», concède Faudemer. L’émission 66 Minutes réalise un sujet intitulé: «Quand Babar séduit les stars». Un dimanche après-midi, Franck regarde la télé et voit passer une étoile filante sur son écran. «Quand j’étais petit, j’adorais Babar, dit-il simplement. Alors un artiste français qui parlait de Babar, qui avait l’air connu, coté, je trouvais ça pas mal!»

Des cartes pour gagner des Babolex

Pluie de pachyderme­s sur l’Hexagone. On en trouve dans une galerie d’Arles, à Sarlat, ailleurs encore. A ce stade du récit, il convient de préciser que dans un marché de l’art (déjà) spéculatif, l’oeuvre de Faudemer percute un monde nouveau, lui aussi spéculatif : les cryptomonn­aies. En achetant Babolex, on ne devient pas simplement l’heureux propriétai­re d’un Babar chromé, mais on participe aussi à la grande aventure des monnaies numériques. En 2020, le cours des cryptos est à la hausse. Dans le jargon des initiés, on appelle cela le bull run, la «course de taureaux», que Vincent Faudemer enfourche à l’instinct et avec une certaine débrouilla­rdise.

Pendant la crise sanitaire, le marché des cartes Pokémon explose ? Hop, le Normand crée un jeu de cartes à collection­ner, 15 euros le paquet : «Babolex et les sept merveilles antiques.» Au total, 49 cartes, chacune associée à une valeur en satoshi –la plus petite unité de bitcoin, nommée ainsi en hommage au pseudonyme du créateur ou des créateurs de la cryptomonn­aie. Mieux, les détenteurs peuvent demander à échanger leurs cartes contre des satoshis. Mieux encore, c’est un super produit d’appel, comme un jeu de hasard pour ceux qui, hélas, n’ont pas le porte-monnaie pour se payer une statue en édition limitée. Grosso modo, selon un barème, constituer une famille rapporte un mini Babolex. Trois-quatre familles: un gros Babolex. Sept familles : alors là, un très gros Babolex. Les cartes se vendent et se revendent sur un marché secondaire (toujours) spéculatif. Toujours mieux : «Il existe cinq cartes secrètes d’une valeur de 1 bitcoin», annoncet-il alors. L’équivalent de 60000 euros à l’époque.

En septembre et octobre 2021, Jérôme (1), 37 ans, vendeur avec un peu d’argent de côté, dépense près de 2 000 euros pour 250 paquets, dans l’espoir de les échanger contre une statue de 60cm, à plus de 10000 euros. Pour compléter sa collection de 49 cartes, il en achète même une à 700 euros sur Vinted, et une autre encore à 1 000 euros. «Puis, il nous a sorti qu’il y avait une erreur, il ne fallait plus 49 cartes, mais 50…» Erreur du webmaster, plaide alors Faudemer. Pas de chance. Certains paquets sont exactement les mêmes, avec la même suite de cartes. Oups, erreur de fabricatio­n. Encore pas de chance. Et les cartes secrètes? Introuvabl­es, croit un déçu. Toujours pas de chance. «Il y avait bien 5 cartes d’une valeur d’un bitcoin», nous jure Faudemer.

Les NFT et Snoop Dog entrent en piste

Les NFT ont le vent en poupe? Une collection Babolex voit le jour, 350 euros l’unité. Après tout, on s’arrache bien des singes en images numériques –la collection s’appelle «Bored Ape» – alors pourquoi pas des éléphants ? Moins d’une minute à peine après la mise en vente, incroyable : rupture de stock, jure fièrement le commerçant. En novembre 2021, nouvelle vente de NFT, les Alien X, 760 euros pièce. Imaginez un peu : bientôt, les Ba

«Ce n’était pas sérieux par rapport à ce que j’avais vu

en galerie. La peinture n’était pas nette, il y avait des débordemen­ts, pas de chrome…» Jérôme collection­neur

bolex affrontero­nt les Alien X dans un jeu vidéo où chacun pourra jouer pour gagner des cryptos –cela s’appelle du play to earn. Et ce n’est pas tout : chaque NFT sera associé à un personnage du jeu, que les propriétai­res pourront louer, comme un appartemen­t, pour gagner encore plus d’argent. «Quand on y repense, c’est grotesque, concède Louis Abadie, qui a acheté deux NFT Alien X. Je ne vois pas un étranger louer un NFT pour jouer à un jeu vidéo…» Sur un canal Discord, Vincent Faudemer fédère les siens, des centaines de jeunes hommes comme lui, réunis autour d’une croyance simple : sur le long terme, les plus fidèles au roi des éléphants seront couverts d’argent, forcément.

Pour faire parler de lui, Vincent Faudemer s’arrime à une agence de communicat­ion, Splashr by Jaws, spécialisé­e dans les contenus sur des projets numériques – sollicité par Libération, son cofondateu­r Jérémy Bendayan n’a pas donné suite. En avril 2022, le voilà en couverture du magazine Technikart pour un dossier «Le monde sera NFT !» Un macaron annonce dix NFT Babolex à gagner. Les médias en parlent: comment ne pas y croire ? «Pour moi, c’était l’art accessible à qui veut bien se prendre la avec les cryptomonn­aies», raconte un jeune homme qui souhaite rester anonyme. Sur son Instagram à plus d’un million d’abonnés, Vincent Faudemer chauffe les siens avec les codes de la génération réseaux sociaux, titille leur fomo – «fear of missing out» ou la peur de rater quelque chose. Un jour, une story annonce : «Allez… je vous le dis : je suis en train de voir pour réserver 40 chambres à l’hôtel Normandy Barrière de Deauville pour faire kiffer un maximum de la Babolex team.» Emojis flamme. Suivez bien. Vincent Faudemer crée des BaboSnoop, une édition spéciale de Babolex, en partenaria­t avec… Snoop Dogg. Pour l’achat d’une statuette à 1 200 euros, une chance sur dix d’assister à un futur showcase du rappeur, prévu pour 2022. Trop beau pour y croire? Précisons ceci : le compte Twitter du rappeur fait alors la promotion du projet et dans une story publiée, une petite statue BaboSnoop est visible à l’intérieur du studio. Les projets se croisent, se chevauchen­t et se mélangent. A peine a-t-il fini de promettre qu’il promet à nouveau : un «livre magique» mélange de NFT, de métavers et de Babolex, du CBD en partenaria­t avec Vincent Faudemer, et bientôt une cryptomonn­aie, le Baboken, et d’autres visuels de statuettes : des Winnie l’ourson, des Peter Pan et même Babotine, un Babolex avec la tête de Vladimir Poutine.

Un an après avoir présenté sa collection de cartes, Jérôme prend la voiture, direction la Normandie. Il a réclamé son Babolex de 60 cm, plusieurs fois, alors maintenant il va aller le récupérer. Rendez-vous fut donné devant un garage automobile, près de Caen, où un carton l’attend. Jérôme l’ouvre. Tadam, un Babolex… enfin pas exactement. «Ce n’était pas sérieux par rapport à ce que j’avais vu en galerie, dit-il. La peinture n’était pas nette, il y avait des débordemen­ts, pas de chrome sous la statue, c’était du plastique…» Un autre plaignant détaille : une connaissan­ce de Faudemer donnait rendez-vous au McDo ou sur des parkings pour livrer la marchandis­e. Un autre encore a commandé 40 statues Snoop Dogg. «Je n’en ai reçu que 20 et la qualité n’était pas là.» Ils sont plusieurs à décrire des statues «mal faites» et «made in China». «Tout dépend de la sculpture, estime Vincent Faudemer. Je produis en majeure partie en France avec un appui au Portugal et en Pologne selon les projets.» Et Baboland, le jeu vidéo présenté comme un parc d’attraction­s numérique ? «Extrêmetêt­e

«C’est un symbole de la dérive qu’offre l’univers peu régulé des cryptos. On n’a pas assez de moyens pour enquêter sur ce type de dossier.»

Arthur Delaporte député socialiste du Calvados

ment pourri», décrit Slim, un autre plaignant, membre du collectif AVI. Le concert de Snoop Dogg : reporté, encore reporté, toujours reporté.

Fuite en avant, gronde et gueule de bois

Les commandes n’arrivent plus, certains projets sont abandonnés en cours de route. Son train de vie agace. Pendant qu’eux attendent, lui roule en voiture de sport et vit la belle vie à Dubaï. Une crainte commence à agiter certains fans: à force de suivre l’éléphant, seraient-ils en train de se changer en ânes ? Sans cesse, Vincent Faudemer change la «roadmap», c’est-à-dire la feuille de route, retarde les chantiers et en lance de nouveaux, de plus en plus lunaires. Ainsi naît le projet Belouga. Le plan : miner du bitcoin de manière durable, en produisant de l’électricit­é à partir des émissions de méthane des puits de pétrole. Il publie des photos d’une installati­on de minage. «Derrière, il n’y avait rien du tout, balaye Philippe Miller, du site Warning Trading. C’était du vent, dans la présentati­on de l’équipe, il y avait des sous-traitants, un influenceu­r, un avocat était mentionné, mais quand je l’ai appelé, il n’était pas au courant.»

En 2022, c’est la descente, le cours des cryptos est en chute libre, la plateforme de cryptomonn­aies FTX va au tapis. Dans le jargon, on appelle cela le bear market, une allusion au mouvement, de haut en bas, d’une patte d’ours lors d’une attaque.

L’avenir est incertain et le passé rattrape Vincent Faudemer. En octobre 2022, le site de la radio Tendance Ouest l’annonce: le «petit prince de l’art contempora­in» est poursuivi par le fisc à Caen, qui lui réclamerai­t 380000 euros. Deux mois plus tard, le site Warning Trading dévoile le système Faudemer dans un article intitulé «Le grand bluff». Sur Discord, les modérateur­s s’occupent du service après-vente, payés en cartes à collection­ner, en NFT, ou en cryptos. «On commence à voir que ce n’est pas tout rose, admet l’un d’eux. Donc on se dit qu’on va faire en sorte qu’il délivre ce qu’il a promis.» La gronde monte, les détracteur­s sont bannis du canal de discussion, les déçus demandent à se faire rembourser. A force de faire pression sur l’artiste, Mehdi (1) récolte des menaces. Fin 2023, l’équipe de Faudemer débranche le canal Discord rassemblan­t ses fidèles. Le Collectif d’aide aux victimes d’influenceu­rs sonne l’alarme. Alors l’ours a-t-il eu la peau de l’éléphant? Vincent Faudemer peut plaider le retourneme­nt du marché. Le cours des cryptos a chuté, la hype des NFT est retombée, et hélas, il n’a pas pu aller au bout des projets dans les délais annoncés. Pour comprendre, Philippe Miller de Warning Trading invite à se tourner vers le passé. «Il va servir le discours de l’erreur de parcours, de l’accident industriel, mais c’est une fuite en avant perpétuell­e.» Selon lui, l’histoire de Vincent Faudemer raconte celle d’un nouveau monde virtuel, archaïque, illisible, dont la morale est la suivante: «Le poulailler libre, c’est génial pour le renard libre.» Pour Arthur Delaporte, député socialiste du Calvados à l’origine du projet de loi sur l’encadremen­t des pratiques des influenceu­rs, cette histoire prouverait qu’il faut aller plus loin dans la régulation. «C’est un symbole de la dérive qu’offre l’univers peu régulé des cryptos. Aujourd’hui, on n’a pas assez de moyens pour enquêter sur ce type de dossier.»

Pour ceux qui y ont cru, c’est la gueule de bois. «On a été surnaïfs», résume l’un d’eux. Jérôme attend une nouvelle statue, qui doit arriver sous peu. «Sa stratégie, c’est de gagner du temps», croit-il. Après un signalemen­t auprès de la DGCCRF, Louis Abadie s’est fait rembourser ses deux NFT Alien X, 1 500 euros. «Il a fallu que j’envoie 25 mails par mois, mais il a fini par me rembourser 10000 dollars sur 16000», dit un dénommé Kheops. Un autre plaignant continue de spéculer, dans un genre plus cynique : «Quand il sera en prison, cela donnera peutêtre de la valeur à nos NFT.» Au total, Franck L. a investi plus de 6000 euros et pour lui, c’était beaucoup d’argent… «J’ai envoyé 1 000 mails, mais toujours rien.» Alors le 20 mars, il a pris sa voiture et roulé 600 kilomètres, du Luxembourg jusqu’à la Normandie, pour rencontrer Vincent Faudemer, récupérer son argent et se faire justice lui-même. Il a sonné à une adresse, nerveux, mais ne l’a pas trouvé. Il a passé la nuit dans un Airbnb proche de la mer et, au petit matin, s’est rendu à la gendarmeri­e pour porter plainte, avant de rentrer.

Un projet de tour de 48 étages à Dubaï

Le 11 mars, le bitcoin a atteint un nouveau record historique, à 72000 dollars. Vincent Faudemer l’assure: il finira par «délivrer», 2024 sera son année. Il liste ce qu’il appelle «des avantages dans le monde réel» distribués depuis 2021, comme autant de gages de sa bonne foi : des voitsures, des Rolex, des Babolex… «Mes projets font partie des rares à avoir survécu à la crise du secteur, dit-il. On a tenu bon.» Bien sûr, il comprend la frustratio­n, nous assure-t-il. Le concert de Snoop Dogg ? «On aimerait faire ça en France cet été même si ça paraît compliqué. Ce qui est sûr, c’est que nous le ferons d’une manière ou d’une autre.» Le jeu vidéo Baboland ? «Je peux évidemment comprendre la déception des joueurs si on met cela en opposition au top marché du jeu vidéo, dit-il. Nous continuons de travailler.» La situation est tendue. L’entreprene­ur reçoit des menaces. «Je suis une victime et cela a aussi un impact sur ma famille et mes proches, soulignet-il. Moi, je ne me suis jamais caché sur mes projets et je les ai toujours assumés personnell­ement. Mais s’en prendre à ma famille, c’est franchir la limite de l’inacceptab­le.»

Sur les réseaux, il assure faire tourner la planche à Babar. Promis juré, Babolex reviendra. En attendant, il s’est lancé dans un tout nouveau projet, toujours plus haut, toujours plus grand: Coral Reef, avec le groupe Damac Immobilier, une tour de 48 étages à Dubaï en collaborat­ion exclusive avec le créateur de Babolex. «On dirait vraiment un pays des merveilles fantastiqu­e, s’enthousias­me-t-il dans une vidéo promotionn­elle. C’est un espace de vie et les moindres détails affectent la manière dont les résidents interagiro­nt avec Babolex.» Fin de chantier prévue pour mars 2028. «C’est un immense challenge, mais je suis impatient de le relever», termine-t-il dans son mail. Le 22 mars, Laurent de Brunhoff, fils de Jean et cocréateur de Babar, nous quittait. A l’heure où sont écrites ces lignes, Babolex ne lui a toujours pas rendu hommage. Le 7 mai, Vincent Faudemer était une nouvelle fois rattrapé par son passé de vendeur de matelas : il comparaiss­ait au tribunal correction­nel de Caen, poursuivi pour fraude fiscale, travail dissimulé et d’autres infraction­s. Le parquet a requis trois ans de prison, dont deux avec sursis. Le jugement sera rendu le 28 juin.

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PHoto Benoît DuranD. Hans Lucas Vincent Faudemer, le créateur des Babolex, à Paris en 2018.
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PHOTO PHOTOPQR. NICE MATIN. MAXPPP Une sculpture Babolex devant le casino de Monte-Carlo à Monaco, en août 2018.
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