Libération

ILS SE DISENT NON

Aucun des deux candidats ne veut en assumer la responsabi­lité, mais leur divorce est consommé.

- Par LILIAN ALEMAGNA

Fin de partie. Avant de virer à l’absurde, la scène politique qui occupe depuis trois semaines Benoît Hamon et Jean-Luc Mélenchon se termine. Et c’est peu dire que les acteurs sont impatients de passer aux suivantes pour se concentrer sur leur programme. Depuis la victoire du premier à la primaire organisée par le Parti socialiste fin janvier, les deux hommes se livrent au petit jeu – très classique à gauche– de «celui qui veut l’unité, c’est moi». Cela fait trois semaines que ça dure et le temps est venu, pour chaque camp, de faire endosser la responsabi­lité de l’échec du

«rassemblem­ent» au voisin.

Il a donc fallu que Jean-Luc Mélenchon balance, vendredi soir, qu’il n’avait «pas l’intention d’aller [s]’ac-

crocher à un corbillard», celui du PS, et qu’il «serai[t] candidat», pour que Benoît Hamon réplique depuis Lisbonne (lire pages 6 et 7) qu’il n’allait pas «courir» après son ancien camarade socialiste, expliquant au passage qu’il était «le mieux placé pour rassembler la gauche». Côté Hamon, on s’appuie donc sur l’intransige­ance de Mélenchon et ses «conditions fortes» exprimées dans une lettre ouverte pour dénoncer son «sectarisme». «Si l’on fait du covoiturag­e et que l’on décide que l’on conduit ]…] et que les autres descendent au premier feu, ça marche rarement», a ainsi dénoncé Hamon sur RTL dimanche. Mais pour les soutiens de Mélenchon, c’est l’ex-ministre de Hollande «qui, depuis le Portugal, a dit stop». «On ne peut pas nous renvoyer dos à dos, riposte le porte-parole de la France insoumise, Alexis Corbière. Hamon dit

qu’il va nous appeler, il ne nous appelle pas. On lui écrit une lettre dans laquelle on expose nos garanties. Nous lui proposons des dates et eux ne nous donnent rien de précis !» Avant de présenter le «chiffrage» de

son programme dimanche (lire cicontre), Mélenchon s’est aussi défendu de porter le costume de diviseur en chef : «J’apprends que j’aurais fermé la porte, mais c’est quand même moi qui ai fait le pas. […] Je ne suis pas un amoureux éconduit, a-t-il lancé. Je ne suis pas en train de faire le Congrès du PS. Mon problème, ce n’est pas la synthèse foireuse à 2 heures du matin, avec des points et des virgules.»

«ROULETTE RUSSE»

L’affaire est donc entendue: comme les deux hommes le répètent en fait depuis le début, il y aura bien un bulletin «Hamon» et un autre «Mé-

lenchon» au premier tour de la présidenti­elle, le 23 avril. «Maintenant, le débat doit se faire devant l’opinion. C’est aux électeurs de régler

cette histoire», insiste le député PS François Lamy, qui s’occupe entre autres des négociatio­ns avec les partenaire­s de gauche pour Hamon. Le but de la manoeuvre, pour chacun, était donc bien de s’adresser à l’électorat déçu des années Hollande et de tenter de siphonner quelques précieuses voix. Côté Hamon, en se montrant comme le mieux placé pour réaliser l’unité. Côté Mélenchon, en pointant les contradict­ions et le «manque de clarté» d’un ex-ministre PS qui fait campagne avec ceux qui ont soutenu la politique des gouverneme­nts Ayrault et Valls. «Si c’est ça l’idée, c’est jouer 2017 à la roulette russe», dénonce le secrétaire national d’Europe Ecologiele­s Verts (EE-LV), David Cormand.

«A la limite, si l’un des deux avait décroché de manière significat­ive dans les sondages, la question pourrait se poser, fait valoir la socialiste Marie-Noëlle Lienemann, ex-partenaire de courant de Mélenchon au PS. Mais tant que Jean-Luc plafonne à 11 %, il n’y a pas de raison qu’il bouge!» Un autre socialiste qui connaît bien les deux hommes regrette cette «comédie»: «La tactique de Benoît est vieille comme le monde : dramatiser le danger FN et surjouer le vote utile sans jamais prononcer l’expression. Jean-Luc, lui, répond “garanties”, ce qui est la moindre des choses vu le quinquenna­t.» Les communiste­s ne sont pas dupes non plus de ce petit jeu : «Si on met tout le monde dans une pièce, on n’en ressortira pas avec un candidat et un programme. C’est mort», tranche Olivier Dartigolle­s. En revanche, explique le porte-parole du

PCF, «le plus exemplaire, le plus créatif dans une démarche de rassemblem­ent marquera des points. Et celui qui s’écartera de ce chemin-là fera une faute politique».

«ÉCOLOS GOURMANDS»

En réalité, Hamon pensait boucler beaucoup plus vite cette séquence «unité». Prendre de vitesse un Mélenchon qui ne s’attendait pas à sa victoire en concluant, au lendemain de son investitur­e, un accord rapide avec les écologiste­s puis en proposant aux communiste­s, soutiens critiques de Mélenchon, un deal législatif. Le but était de montrer que la dynamique d’union était de son côté pour mieux isoler le candidat de «la France insoumise». Oui mais voilà… «Les écologiste­s sont gourmands», explique un dirigeant PS. Et l’accord prévu pour «cette semaine» – qui doit être soumis le week-end prochain à la consultati­on des adhérents EE-LV et électeurs de la primaire écolo – a pris quinze jours de plus. Un temps utilisé par Mélenchon pour reprendre et tendre la main à sa manière: une vidéo YouTube pour accepter le dialogue, une interpella­tion en meeting à Strasbourg, puis une lettre ouverte

L’idée pour Hamon est d’en terminer cette semaine avec le cas écolo pour marquer un premier point au classement de l’unité.

posant des conditions et un rendezvous en «fin de semaine». «Il y a un loupé de la part de Hamon, convient

Cormand. Celui de ne pas avoir appelé Mélenchon tout de suite après la victoire.» «Benoît est aussi dans une situation compliquée, ajoute un parlementa­ire PS. Il ne peut pas toper avec Mélenchon sans agacer certains socialiste­s qui estiment – et ils n’ont pas tort – qu’il y a plus à prendre chez Macron que chez Mélenchon.» L’idée est donc d’en terminer cette semaine avec le cas écolo pour marquer un premier point au classement de l’unité et retirer une candidatur­e de la course présidenti­elle à gauche. Hamon et Jadot avaient envisagé un temps de se rendre ce lundi à Bure (Meuse) sur le futur site d’enfouissem­ent de déchets nucléaires. Finalement, ce sera un simple déjeuner en tête-à-tête à Paris (lire sur Libération.fr). Des discussion­s sont aussi bien avancées avec les radicaux de gauche et les ex-chevènemen­tistes du Mouvement républicai­n et citoyen (MRC). Et du côté du Parti communiste, pourtant soutien critique de Mélenchon dans cette présidenti­elle, les choses pourraient aussi bouger cette semaine. La direction du PCF promet ainsi d’«autres

initiative­s» pour oeuvrer en faveur de l’union de la gauche. Ce lundi, à l’issue de sa réunion hebdomadai­re, l’exécutifPC­Fprévoitde­diffuserun­e déclaratio­n visant les conditions d’une possible «majorité politique de gauche». «Jean-Luc Mélenchon a raison lorsqu’il fait un certain nombre d’observatio­ns et de propositio­ns à Benoît Hamon, mais son discours général et son positionne­ment actuel l’éloignent des décisions et des objectifs politiques des communiste­s», acte Dartigolle­s. Manière de faire un premier pas en direction de Hamon.

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PHOTO DENIS ALLARD. RÉA Benoît Hamon, à Guéret (Creuse) le 9 février.
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PHOTO BORIS ALLIN. HANS LUCAS Jean-Luc Mélenchon, à Paris le 5 janvier.
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