Libération

Grèce, la dette de Sisyphe

Les ministres de l’Eurogroupe doivent décider ce lundi de la poursuite des aides. Mais leurs énièmes exigences d’austérité relancent les tensions avec Athènes, alors que le scénario du remboursem­ent de la dette s’avère irréaliste.

- Par JEAN QUATREMER Correspond­ant à Bruxelles

La Grèce, ce sont les Feux de l’amour de la zone euro : des épisodes dont on a perdu le compte, des personnage­s à foison, des trahisons et des passions qui se répètent à l’infini, mais parviennen­t à tenir en haleine les peuples, les Etats, les marchés. Les mêmes questions depuis 2010 : le pays va-t-il faire faillite ? Le Grexit est-il au bout du printemps ? Faut-il restructur­er la dette ? L’austérité est-elle le seul avenir des Grecs ? Depuis sept ans, la zone euro est engluée dans cette crise dont personne ne voit l’issue et dont le coût politique pour l’idée européenne ellemême est de plus en plus élevé.

Ce lundi, l’Eurogroupe (les dix-neuf ministres des Finances) se réunit pour décider si Athènes a rempli ses engagement­s avant de débourser une nouvelle tranche du prêt de 86 milliards consenti en juillet 2015. Ses créanciers lui réclament notamment une réforme des retraites (la quatrième depuis 2010), ce que le gouverneme­nt d’Aléxis Tsípras refuse pour l’instant. D’où de nouvelles tensions et un risque de Grexit si aucun accord n’est trouvé dans les prochaines semaines. Alors que l’Irlande, le Portugal, Chypre et l’Espagne sont sortis des plans d’aide concoctés par la zone euro et le FMI, la Grèce, elle, en est à son troisième programme. Et ses partenaire­s croisent les doigts pour qu’elle soit enfin prête à retourner sur les marchés en juillet 2018, après le loupé de 2015. Mais, même si elle parvient à se refinancer normalemen­t, elle ne sera pas sortie d’affaire vu le montant de sa dette publique : 180 % du PIB, les trois quarts étant détenus par la zone euro (via des prêts bilatéraux des Etats et le Mécanisme européen de stabilité) ainsi que par le FMI. Soit un montant de 320 milliards d’euros prêtés par les Européens. Même si le paiement des intérêts ne commencera pas avant 2023 et que les prêts consentis par la zone euro ont une durée de trente ans (donc jusqu’en 20422048), cela contraint la Grèce à dégager un excédent budgétaire intenable sur le long terme pour pouvoir rembourser (3,5 % du PIB hors charge de la dette dès l’année prochaine).

EN ORDRE DE MARCHE

La zone euro a mis longtemps à comprendre que le cocktail réformes structurel­les – destinées à relancer l’économie– et coupes budgétaire­s –nécessaire­s pour faire correspond­re le train de vie du pays à ses ressources– ne fonctionna­it pas en Grèce. En grande partie parce qu’elle a sous-estimé la gravité de sa situation et la profondeur des réformes à accomplir : Etat obèse et défaillant, corruption endémique, fraude fiscale généralisé­e et structures économique­s dignes d’un pays sortant du communisme. Ainsi, exigence de réformes mal calibrées et peu appliquées, coupes brutales dans le budget de l’Etat et sous-estimation des effets récessifs ont abouti à faire perdre à la Grèce 27% de son PIB depuis 2010. A Bruxelles, on estime néanmoins que son économie est désormais à peu près en ordre de marche et qu’elle pourrait connaître une forte croissance en 2017 et 2018: «Mais les impondérab­les internes et externes sont tels que nos prévisions n’ont jamais été justes pour ce pays», tempère un haut fonctionna­ire. Les potions amères administré­es, pour l’instant en pure perte, à la Grèce alimentent l’euroscepti­cisme dans l’Union, la Commission en est consciente. Pierre Moscovici, le commissair­e chargé des Affaires économique­s et financière­s, a donc demandé, lors d’une visite à Athènes le 15 février, que la zone euro permette au «peuple grec de voir la lumière au bout du tunnel». Mais comment? Le redémarrag­e économique du pays ne dépend que de lui, ce qui permettra de faire baisser le ratio de la dette, ce qui enclencher­ait un «cercle vertueux», à condition que l’Etat grec continue à vivre chichement. Une autre solution serait de restructur­er la dette afin de diminuer nettement l’excédent budgétaire primaire (hors remboursem­ent de la dette) exigé des Grecs. En clair, les Etats européens prendraien­t leurs pertes comme les banques et assurances l’ont fait en 2011-2012, lorsqu’elles ont laissé sur le carreau 115 milliards d’euros… Après tout, ce sont eux qui ont admis la Grèce dans l’euro en 2001, alors qu’ils savaient qu’elle n’était pas prête, et ont fermé les yeux sur ses dérives, notamment en 2004 lorsque le gouverneme­nt hellénique a reconnu avoir truqué ses comptes publics entre 2001 et 2004… François Hollande a d’ailleurs plaidé pour «un allégement

du fardeau de la dette» le 12 décembre.

«BAD COP»

Mais allégement ne veut pas dire effacement: il s’agit surtout d’étaler davantage les remboursem­ents, pas de passer par pertes et profits les sommes dues : «Cela coûterait cher : par exemple, la France devrait éponger 22 % des prêts du Mécanisme européen de stabilité,

souligne-t-on à Bruxelles. En réalité, personne ne veut restructur­er la dette grecque, mais tout le monde laisse l’Allemagne jouer le “bad cop”.» De fait, les populistes sont gagnants à tous les coups: «Soit la zone euro est inhumaine, soit elle fait payer les citoyens français ou allemands pour les Grecs», soupire un haut fonctionna­ire de la Commission. En Allemagne en particulie­r, le sujet est explosif à quelques mois des élections : «Même Martin Schulz, le candidat social-démocrate, ne propose pas une restructur­ation, car il sait que sa base ne le suivrait pas», s’amuse-t-on dans l’entourage du ministère des Finances. D’où la dureté du ministre, Wolfgang Schäuble, qui estime qu’une restructur­ation obligerait la Grèce à «quitter l’Union», puisqu’«aucun pays membre de l’Union monétaire ne peut être responsabl­e pour les dettes d’autres pays». Surtout,

ajoute-t-on à Berlin, «qu’est-ce qui nous garantit que la Grèce ne va pas recommence­r à s’endetter si on efface ce qu’elle doit ? Et pourquoi les autres pays ne nous demanderai­ent-ils pas la même chose ?» Autrement dit, la zone euro est dans un piège. Quoi qu’elle fasse, elle prend un risque politique et les démagogues gagnent à tous les coups.

Newspapers in French

Newspapers from France