A la barre, Mathieu Gallet rattrapé par son «couteau suisse»
Jugé à Créteil pour favoritisme, l’ex-patron de l’INA et actuel de Radio France a été épinglé par le parquet sur ses relations avec le consultant Denis Pingaud. La procureure a requis dix-huit mois de prison avec sursis.
Au terme d’une très longue journée de procès achevée dans la nuit de jeudi à vendredi, le parquet de Créteil a requis dix-huit mois de prison avec sursis et 40 000 euros d’amende contre Mathieu Gallet. Le PDG de Radio France était jugé pour «délit de favoritisme». En cause, des contrats passés par l’Institut national de l’audiovisuel (INA) lorsqu’il était son président, entre 2010 et 2014, que le tribunal correctionnel a tenté de disséquer. Avec cette question en toile de fond : s’agissait-il, sous couvert de missions pour l’entreprise publique, de conseils profitant à l’avancement de carrière et à la communication personnelle de Mathieu Gallet lui-même, devenu PDG de Radio France en 2014 ?
«Saucissonnage».
Le premier contrat, signé en 2013 avec le cabinet Roland Berger, portait sur une mission de conseil en organisation de l’INA. D’un montant initial de 180 000 euros, il a été complété dans les mois suivants par deux prestations supplémentaires de 19 000 et 90 000 euros. Soit un total de 289 000 euros, au-delà du seuil de 200 000 euros nécessitant un appel d’offres européen – ce qui n’a pas été le cas. En outre, l’appel à candidatures a duré deux jours et demi ouvrés seulement. Un délai si court que son impartialité est questionnée par le ministère public. L’autre partenariat visé par la justice –et enjeu principal du procès – concerne la société Balises, du communicant Denis Pingaud. Ce dernier a facturé 130 000 euros de conseils entre 2012 et 2014 à l’INA, via trois contrats rémunérés à hauteur de 5 000 euros par mois, sans mise en concurrence. Or audelà de 100000 euros, un appel d’offres est nécessaire. Lors de l’audience, Me Jérome Karsenti, l’avocat de l’association de lutte contre la corruption Anticor, partie civile dans ce dossier, a parlé de «saucissonnage» des contrats afin de s’extraire des règles inhérentes à l’INA. A la barre du tribunal correctionnel, Mathieu Gallet a plaidé sa «bonne foi». «Je ne suis pas un spécialiste des marchés publics, a-t-il expliqué. J’avoue que je n’ai pas eu le réflexe de questionner ces marchés, je me suis reposé sur les équipes en place. J’avais mis en place une délégation de signature sous les 70000 euros. A aucun moment des personnes ne m’ont dit que l’on arrivait à un certain seuil.»
Les débats se sont rapidement focalisés sur le contrat passé avec Denis Pingaud, qui a ensuite travaillé pour Mathieu Gallet à Radio France. Interloqué par ce drôle de quasi-CDD, le président du tribunal a tenté de comprendre la nature exacte du travail du consultant, qui s’occupait officiellement de la communication de l’INA, rédigeait des discours pour son président, réfléchissait à la stratégie, commandait des sondages, etc. «C’est une prestation intellectuelle, ce n’est pas quelque chose qu’on trouve sur une étagère, ce n’est pas un logiciel», a commenté Mathieu Gallet. A ce moment de l’audience, deux mondes ont paru s’affronter, celui d’un juge de tribunal correctionnel et celui d’un dirigeant de l’audiovisuel public, rompu aux méthodes de management du privé. «Un dirigeant n’a pas la science infuse, a tenté Mathieu Gallet, qui a rappelé avoir été nommé à la tête de l’INA à l’âge de 33 ans. Avoir un regard extérieur m’a toujours semblé important.»
«Insultant».
Celui qui vient d’être désigné «homme médias de l’année 2017» par le magazine GQ s’est ensuite justifié: «Denis Pingaud avait beaucoup de ressources. C’est quelqu’un qui est couteau suisse avec plusieurs cordes à son arc, qu’on a découvertes en cours de route.» Et d’expliquer que le prestataire extérieur, au-delà de ses missions de stratégie et de communication, lui avait ouvert son «carnet d’adresses», lui faisant tout autant rencontrer des dirigeants de grandes entreprises («Renault, Chanel, Louis Vuitton») pouvant devenir des clients de l’INA que des représentants d’organisations syndicales, et «des candidats à l’élection présidentielle de 2012 pour leur présenter la stratégie» de l’entreprise publique. Une sorte d’homme de l’ombre à tout faire, comme de nombreux patrons du CAC 40 en ont auprès d’eux. Sauf qu’il s’agit là d’argent public, a rappelé la procureure, qui a décrit Pingaud en «coach personnel» de Gallet, oeuvrant secrètement à la promotion de son client. «Laisser accroire que Denis Pingaud a fait ma candidature pour Radio France, c’est au minimum insultant, au pire diffamatoire», a rétorqué l’intéressé. Un témoignage très à charge, lu par le président du tribunal, appuie cette thèse au coeur du procès. C’est celui d’Agnès Saal, successeure de Gallet à l’INA, entendue lors de l’enquête préliminaire. D’après elle, Mathieu Gallet aurait dépensé 1,3 million d’euros, dont la moitié sans mise en concurrence pour des prestations de cette nature, avec Denis Pingaud, Roland Berger et d’autres, pendant son mandat. Ejectée de l’entreprise en 2015 à cause de ses frais de taxi personnels, affaire à la suite de laquelle a éclaté celle concernant Mathieu Gallet, Agnès Saal, qui ne porte visiblement pas Gallet dans son coeur, parle de rapports et d’études «sans intérêt», avec des «conclusions dénuées d’utilité», «superficielles et anecdotiques». «Pour moi, Agnès Saal n’est pas une référence», a riposté Gallet. En début d’audience, ses avocats, qui ont plaidé la relaxe, ont tenté de faire annuler la procédure. Pour eux, l’enquête partiale traduit une «volonté de nuire» au PDG de Radio France. L’avocat de la partie civile a reconnu que ce dossier «politico-financier» avait été «mal traité», et aurait mérité une instruction judiciaire, mais a estimé que le délit de favoritisme était constitué. Le tribunal rendra son jugement le 15 janvier. •
Agnès Saal, qui ne porte visiblement pas Gallet dans son coeur, parle de rapports et d’études «sans intérêt», avec des conclusions «superficielles et anecdotiques».