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BAVIÈRE Pour les partis historique­s, la menace d’une mise en bière

Les législativ­es de dimanche sont un camouflet pour les membres de la grande coalition au pouvoir en Allemagne, la CDU-CSU et le SPD. Les Verts réalisent un score inédit et l’AfD fait son entrée au parlement régional, poussant les partis traditionn­els à s

- Par JOHANNA LUYSSEN Correspond­ante à Berlin

Déconfitur­e des conservate­urs, sociaux-démocrates en capilotade, Verts en majesté, extrême droite installée dans le paysage… La paisible et opulente Bavière, dans le sud de l’Allemagne, a été le théâtre dimanche d’une série de secousses électorale­s majeu- res. Les élections législativ­es chamboulen­t ainsi plusieurs décennies de politique ronronnant­e, dans le Land, mais aussi dans tout le pays. Les grands partis s’effondrent, le paysage est bouleversé. Car au-delà du scrutin bavarois et de ses 9,5 millions d’électeurs, ce vote sanctionne en premier lieu la coalition gouverneme­ntale. En outre, les Allemands réclament à hauts cris du changement – d’où leur plébiscite des Verts, mais aussi de l’AfD (extrême droite). «Tout cela ressemble à un exemple édifiant tiré d’un manuel de sciences politiques, commente le politologu­e Michael Bröning, de la Fondation FriedrichE­bert. En somme, la grande coalition a renforcé les marges. C’est ainsi que l’on peut analyser la poussée sans précédent des Verts, des populistes de droite, et même le retour des Libéraux au parlement.»

Les conservate­urs forcés de partager

Alors qu’elle régnait sans partage sur la Bavière depuis des décennies, la CSU a obtenu 37 % des suffrages dimanche soir. Certes, l’alliée bavaroise de la CDU d’Angela Merkel reste la vainqueur de ce scrutin ; mais c’est pour elle un score plus que décevant. Non seulement la formation conservatr­ice chute de 10 points par rapport aux précédente­s élections, en 2013, mais elle perd également sa majorité absolue. Et si ce score est certes supérieur à ce que prédisaien­t les derniers sondages préélector­aux (33 %), c’est bien le seul motif de soulagemen­t dans ce qui demeure une catastroph­e électorale pour les conservate­urs allemands. Et l’état-major du parti en est bien conscient. Dimanche soir, le très à droite ministre-président de Bavière, Markus Söder (surnommé «Shrek» par ses opposants, en référence à ses costumes de carnaval mais aussi à sa légendaire délicatess­e), faisait profil bas. «Bien entendu, a-t-il déclaré la mine sombre, ce n’est pas facile de distinguer ce qui nous arrive de ce qu’il se passe à l’échelle nationale.» Les leaders de la CSU n’étant pas, de manière générale, les rois de l’autocritiq­ue, leur mea culpa s’est arrêté là. En effet, ni Markus Söder ni le patron de la CSU et ministre de l’Intérieur, Horst Seehofer, ne semblent vouloir assumer personnell­ement les conséquenc­es de ce fiasco politique –en choisissan­t par exemple de quitter leurs fonctions. Ainsi la CSU, gagnante contrariée de ce scrutin, est tenue de se trouver un partenaire de coalition. Le parti se tourne d’ores et déjà vers les Freie Wähler (les «électeurs libres», un mouvement réunissant des conservate­urs indépendan­ts). Avec 11,6 % des voix, ces derniers représente­nt une force politique stable en Bavière. Ils sont surtout, d’un point de vue idéologiqu­e, parfaiteme­nt CSU-compatible­s, ce qui n’est pas le cas de l’autre partenaire possible de coalition, les Verts.

Aller sur les terres de l’AfD était un échec

Voilà l’une des grandes leçons de ce scrutin : la stratégie mise en place par la CSU consistant à copier-coller les partis d’extrême droite en concentran­t tous les débats sur l’immigratio­n s’est révélée inefficace. Afin de récupérer des électeurs potentiell­ement séduits par l’AfD, le patron de la CSU, Horst Seehofer, s’était en effet lancé dans une surenchère rhétorique, évoquant de manière obsessionn­elle la question des réfugiés et qualifiant l’immigratio­n, comme il l’a fameusemen­t dit en septembre, de «mère de tous les problèmes». Las, ce discours xénophobe ainsi que les violentes querelles sur le sujet l’opposant à Angela Merkel – au point de faire vaciller le gouverneme­nt en juin – ont sensibleme­nt repoussé les Bavarois. Près des trois quarts des électeurs estiment que la CSU «s’est trop concentrée sur la question des réfugiés et a négligé les autres thèmes», 55 % que «le parti recherche trop le conflit». Les sujets de préoccupat­ion des Bavarois sont en effet, dans l’ordre : l’éducation, le logement et l’environnem­ent. En quatrième position seulement arrive la question du droit d’asile et des réfugiés. Plus globalemen­t, électeurs comme politiques de tous bords rendent Horst Seehofer responsabl­e de la débâcle de la CSU.

SPD : du «Titanic» au «Groxit» ?

Le Parti social-démocrate (SPD) essuie un revers historique : moins de 10 %, du jamais-vu dans l’histoire de la République fédérale. «Cette élection n’est même plus une défaite politique, c’est une catastroph­e sans nom. Si l’on voit le SPD comme le Titanic, on peut dire que le parti n’a pas été heurté par un seul iceberg, mais par une succession d’icebergs, chacun d’eux représenta­nt les différents petits partis qui l’ont battu», commente Michael Bröning. Avec 9,7 % des voix, la formation d’Andrea Nahles a en effet

été vaincue par une kyrielle de partis : les Verts (17,5 %), l’AfD (10,2 %) et les conservate­urs indépendan­ts des Electeurs libres (11,6 %). Les graphes post-électoraux analysant les évolutions des électeurs bavarois entre 2013 et 2018 indiquent que le SPD a perdu des voix au profit de tous ses concurrent­s. Le plus gros siphonneur d’entre eux : les Verts. Certes le Parti social-démocrate ne s’attendait à pas faire des étincelles dans une très conservatr­ice Bavière, mais le choc est rude puisqu’il perd 10,9 points par rapport à 2013. Preuve que le SPD n’est plus considéré comme l’opposant principal de la CSU dans le Land, le grand débat télévisé précédant le scrutin bavarois n’a pas eu lieu entre Markus Söder et la candidate social-démocrate, Natascha Kohnen, mais entre Söder et Ludwig Hartmann, le co-tête de liste des Verts en Bavière avec Katharina Schulze.

La descente aux enfers du SPD a commencé voici un an, lors des législativ­es de septembre 2017. Depuis, son aile gauche implore la direction de quitter la grande coalition, la «GroKo», source d’une partie de ses ennuis électoraux. Selon un sondage publié dimanche, c’est également l’avis de 88 % des électeurs SPD de Bavière, qui estiment que la formation ferait mieux de se régénérer dans l’opposition plutôt que de se ratatiner encore davantage dans une alliance pantelante avec la CDU-CSU. Il semble que leurs prières commencent à être entendues. Ainsi, dimanche, juste après l’annonce des résultats à l’élection bavaroise, le vice-président du SPD, Ralf Stegner, l’a assuré: «La gifle électorale infligée aux partis de la grande coalition indique que la GroKo s’étiole. […] Il n’y a aucune raison de s’accrocher à cette GroKo à tout prix.»

Une sortie de la grande coalition, un «Groxit», n’est plus un sujet tabou, à gauche comme à droite. Wolfgang Schäuble, président du Bundestag et figure tutélaire de la CDU, disait la semaine dernière, dans un entretien accordé au tabloïd Bild: «Si le SPD n’en peut plus, le monde ne va pas s’écrouler pour autant. […] Je pense que nous arriverons à avoir un exécutif stable avec un gouverneme­nt minoritair­e.» Les prochaines élections, en Hesse, le Land de Francfort, le 28 octobre, devraient-elles, elles aussi, représente­r un revers pour les membres de la grande coalition ? C’est sans doute après ces dernières que des décisions seront prises à Berlin –qu’elles concernent le gouverneme­nt d’Angela Merkel ou la survie de la grande coalition. Enfin, autre échéance notable : la chancelièr­e affronte un vote des militants de la CDU au mois de décembre afin de la reconduire à la tête du parti.

Les Verts en majesté, l’AfD s’implante

Un chiffre historique : 17,5 %. Ce scrutin bavarois est un triomphe pour les Verts («Grünen»), qui bénéficien­t de la lassitude des électeurs allemands vis-à-vis de la grande coalition, ainsi que d’une attention accrue portée aux questions environnem­entales dans le pays – le Dieselgate et le réchauffem­ent climatique, particuliè­rement perceptibl­e cette année en Allemagne, sont passés par là. En outre, les Verts se sont «droitisés», penchant désormais davantage vers le centre, ce qui les rend plus attractifs aux yeux d’un électorat de droite. Un récent sondage Forsa indiquait que les nouveaux sympathisa­nts des Grünen au niveau national étaient issus des rangs du SPD (42 %), mais aussi de la CDU-CSU (25 %).

De son côté, l’AfD obtient 10,2 % des suffrages. Ce n’est pas un raz de marée mais c’est un fait : après cinq ans d’existence, le parti entre au parlement régional de Bavière. Il apparaît que la hausse de la participat­ion (72,5%) au scrutin bavarois lui a notamment profité. Enfin, analyse le chercheur spécialist­e de l’extrême droite allemande Patrick Moreau dans une note intitulée «AfD, établissem­ent électoral» : «Le parti est aujourd’hui une force établie en Bavière et il parvient à entrer au parlement régional sans cependant parvenir à s’imposer comme un recours politique de la CSU pour la gestion du pouvoir en dépit du nouveau glissement à droite de la scène politique bavaroise.» •

«La gifle électorale infligée aux partis de la grande coalition indique que la GroKo s’étiole. […] Il n’y a aucune raison de s’accrocher à cette GroKo à tout prix.» Ralf Stegner vice-président du Parti social-démocrate (SPD)

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Henrike Hahn, Robert Habeck et Anton Hofreiter, leaders Verts, célèbrent le score du parti, dimanche, à Munich.
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PHOTO ANDREAS GEBERT. REUTERS
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