VRAIE BULLE OU EXCÈS À CORRIGER ?
C’est une question qui tend à devenir lancinante dans la Silicon Valley. Sont-ils tous devenus fous dans cette partie du monde ? C’est en tous cas la question que de plus en plus d’analystes ainsi que quelques confrères se posent. Parmi eux, Jim Edwards de Business Insider (http://www.businessinsider.com/tech-bubble-new-evidence-2014-1) complète une analyse qu’il avait déjà effectuée au mois de novembre dernier. Et son article a de quoi faire frémir car il repose non pas sur des intuitions mais sur une série de faits. En premier lieu, M. Edwards confirme que les investissements dans l’IT ont atteint un nouveau pic en 2013 et ont dépassé les chiffres astronomiques que l’on voyait en 1999 et 2000 avant que tout explose. Le deuxième point est que le Nasdaq, la Bourse des valeurs technologiques, a retrouvé son niveau de 4 000 points qui était celui avant l’explosion. Toutefois, les raisons sont différentes dans la mesure où les taux d’intérêt aux États-Unis sont à zéro, ce qui contribue à faire progresser la Bourse. Le troisième facteur est le nombre d’introductions en Bourse pour les sociétés IT en 2012 et 2013, qui ont atteint des chiffres inédits depuis 1999 ou 2000. Il en va de même pour les fonds investis par les sociétés de capital-risque.
« LES INGÉNIEURS DE LA VALLEY ONT DÉSORMAIS DES EXIGENCES PROPREMENT DINGUES »
Il met aussi en avant l’arrivée sur ces marchés de personnes fortunées qui n’ont strictement aucune expérience de cette industrie mais voient un moyen « facile » de faire des profits, à l’instar de Justin Bieber qui investit 1 million de dollars dans une appli parfaitement inutile. D’autres signes montrent qu’une nouvelle folie est à l’oeuvre. Ainsi les ingénieurs de la Valley ont désormais des exigences proprement dingues concernant leurs rémunérations et conditions de travail, exigences qui sont le plus souvent satisfaites car il y a pénurie de talents. Par exemple, un VP Ingénierie a perçu chez Twitter plus de 24 millions de dollars de salaires et nombreux sont les programmeurs qui ne répondent pas aux annonces en-dessous de 500 000 dollars de salaire annuel. Et tout est à l’avenant. Mais le plus inquiétant est ailleurs. Il l’est dans les valorisations proprement ahurissantes de sociétés qui ne font pas de profits, et n’en ont même jamais faits, comme Twitter. Ou encore qui ne perçoivent pas encore le moindre centime de chiffre d’affaires ! À l’instar de Snapshat pourtant valorisée plus de 3 milliards… Ce constat commence donc à être fait par quelques investisseurs et non des moindres. Ainsi Andreessen Horowitz vient de décider de se re-concentrer sur des entreprises B to B dans les premiers tours de table et d’autres pourraient suivre cette tendance. Attention, il n’est pas dans notre propos de dire que tout va mal. Facebook, Google, Microsoft, Apple et d’autres sociétés ou start-up moins importantes continuent à gagner beaucoup d’argent et participent à la redéfinition de l’économie. Ces entreprises ont des stratégies, des produits, des technologies, des brevets et une vision. Il n’y a qu’à écouter Tony Fadell chez Nest à propos de son rachat par Google pour comprendre que de très gros projets sont en préparation, en particulier dans le domaine des objets connectés, lesquels vont guider la croissance dans les années à venir. De même, dans le domaine B to B, le Cloud, le Big Data sont des tendances lourdes. Mais au milieu de toutes ces vraies tendances, il y a aujourd’hui un peu trop d’emballement pour des applications ou des concepts qui dureront ce que durent les roses. C’est de cette bulle dont il faut se méfier car elle pourrait – comme en 1999 – avoir des conséquences très désagréables pour l’ensemble de l’industrie. Comme souvent, seuls les meilleurs survivront. C’est à souhaiter à la condition que tout ceci s’effectue sans une casse généralisée qu’il est encore temps d’éviter.
Stéphane Larcher, directeur de la rédaction