PLONGER DANS LE MERVEILLEUX
AVEC L’AIDE DES DIEUX
« Les dieux ne sont jamais loin », disait tendrement Lucien Jerphagnon. Christophe Ono-dit Biot prend le vieux professeur au pied de la lettre et organise la descente des dieux de l’Olympe dans le quotidien de la vie froidement moderne de son héros César. Nous sommes à Paris. César, le mari veuf du roman Plonger (Gallimard, 2013) est tout juste remonté des eaux au fond desquelles il a perdu sa femme (et sa raison de vivre). Il s’enfonce dans le désespoir et se retrouve sauvé in extremis par une donzelle ultra-classe, débarquée dont ne sait où. Le jeune homme est propulsé parmi une assemblée de gens galbés et autoritaires, raffinés mais étrangement durs. Ils font de Paris une fête de bronze et d’ambroisie, pas du tout fitzgéraldienne car beaucoup moins sotte et beaucoup plus rapide. Ils sont préoccupés de beauté pure, mais poursuivent d’étranges stratégies. Qui sont ces jet-setteurs d’une autre dimension ? On ne saisira pas qu’il s’agit des dieux, arrivés incognito, si l’on ne prend pas la peine de croire au merveilleux, c’est-à-dire de lire entre les lignes du monde. Le merveilleux n’apparaît ni à l’homme pressé ni au lecteur d’Ono-ditBiot qui se montrerait indifférent à ce qu’il lit. Pour que surgissent les dieux, il faut prendre le temps. Regarder le chatoiement du monde. Accepter que les choses ne soient que le reflet de ce qu’elles cachent. « Car les dieux ne se montrent pas à tous les yeux », comme le dit Homère au XVIe chant de l’Odyssée lorsque Athéna apparaît à Ulysse sans que Télémaque ne la reconnaisse. On achèvera la lecture de ce roman lustral avec l’envie de se précipiter sur une île d’iode et de photon pour se consoler de ne plus vivre au temps où les dieux circulaient sur les remparts de Troie et les îles mystérieuses.
LES DYNAMITEURS DE L’ÉTERNEL
Ono-dit-Biot le sait, qui commence son roman par l’éloge de la collection de littérature antique Guillaume Budé publiée par Les Belles Lettres (couverture rouge pour les Latins, jaune pour les Grecs) : pour continuer à plonger dans le merveilleux, sous le regard de la déesse aux yeux de chouette (Athéna pour les intimes et Nana pour César), il n’y a qu’une seule solution. Il faut lire avidement le trésor que constituent les poèmes d’Homère, d’Hésiode et de Virgile. Ces textes ont déposé sur les rivages de notre époque – grâce aux efforts de milliers d’exégètes, de traducteurs et de copistes – le souvenir des dieux, des héros, des monstres et des Titans. Et ce serait un malheur sans nom, un écroulement sans précédent, un renoncement ignoble que d’orchestrer le désintérêt des générations à venir pour ces chants divins, ces poèmes d’or, ce verbe en feu. Malgré le respect que nous nourrissons à l’égard de madame la ministre de l’Education nationale du dernier quinquennat, nous trouvons regrettable qu’elle ait sous-estimé la capacité des jeunes élèves de France à s’enthousiasmer pour l’Iliade et l’Odyssée et qu’elle ait apporté sa petite pierre au recul de l’étude des langues antiques à l’école. Le César d’Ono-dit-Biot, couché dans les bras d’une fille nue (dont il ne comprend pas encore qu’elle n’est pas qu’une fille nue), explique ce que les dynamiteurs des études antiques n’entendent pas : « Ces histoires de dieux qui se changent en taureau, en cygne, en aigle, et même en pluie d’or pour aller féconder les mortelles. C’est quand même une sacrée école de la chair, et de la liberté. J’avais treize ans, ça m’a formé. Ça m’a ouvert un monde. » Pour un enfant, la mythologie « faisait voir le monde différemment, ensoleillait l’existence, la rendait plus affûtée, riche de double sens, donnait des possibilités d’action dans un monde qui se déchirait ». Le petit César aura été doublement payé de l’amour qu’il manifestait pour les dieux puisqu’ils décideront un jour de se préoccuper de lui.
Cent cinquante ans avant Ono-dit-Biot, Heinrich Schliemann, l’archéologue incontrôlable et salement contesté qui découvrit les ruines de Troie en 1871 faisait la même constatation dans son journal : rencontrer l’Antiquité dans votre prime enfance fait de vous un autre homme. « Dès que j’ai su parler, mon père m’avait raconté les grands exploits des héros homériques ; j’aimais ces récits ; ils me charmaient ; ils m’enthousiasmaient. Les premières impressions que l’enfant reçoit lui restent pendant toute la vie. » Schliemann a trouvé Troie, la guerre a eu lieu, les dieux sont parmi nous, César est ressuscité et c’est ainsi que Zeus est grand.