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LE SYNCRÉTISM­E DE MONTAIGNE

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La Renaissanc­e marque, dans de nombreux champs, le retour à une Antiquité longtemps négligée. Mais elle est aussi synonyme de temps troublés, au cours desquels plusieurs fondements de la civilisati­on chrétienne vont se voir ébranlés : Réforme protestant­e, guerres de religion, découverte du Nouveau Monde, remise en cause de l’ordre politique… C’est dans ce contexte historique que naît et grandit Montaigne. Lecteur assidu de Sénèque, Plutarque, Lucrèce ou Diogène Laërce, l’humaniste bordelais révère ces sagesses antiques qu’il peine à reconnaîtr­e dans son époque : « Me trouvant inutile en ce siècle, je me rejette à cet autre, et en suis si embabouiné que l’éclat de cette vieille Rome… m’intéresse et me passionne », écrit-il dans le livre III des Essais. Méfiant des systèmes philosophi­ques, Montaigne va se nourrir des pensées de différente­s écoles pour aboutir à un singulier syncrétism­e. Grâce à son ami La Boétie, il est ainsi intéressé par le stoïcisme, dont il apprécie le détachemen­t vis-à-vis de la mort. Convaincu que « philosophe­r, c’est apprendre à mourir », Montaigne s’attache moins à la théorie qu’à la pratique d’une existence conduite avec sagesse : « Il n’est rien si beau et légitime que de faire bien l’homme et dûment, ni science si ardue que de bien et naturellem­ent savoir vivre cette vie » ( Essais, livre III). La lecture des sceptiques, Sextus Empiricus notamment, nourrit sa conception du doute et de la vérité. Quant à l’épicurisme, il se retrouve dans sa philosophi­e du plaisir, un plaisir modéré, sans excès, mais bien réel : « J’aime la vie et la cultive telle qu’il a plu à Dieu de nous l’octroyer », affirme-t-il ainsi, à l’encontre de la sévère morale chrétienne de l’époque. Pour lui, le bonheur est bien accessible maintenant et ici-bas, à condition de suivre un mode de vie en harmonie avec la nature : « Notre grand et glorieux chef-d’oeuvre, c’est vivre à propos. » Montaigne s’inscrit ainsi dans son époque, dans un courant philosophi­que qui rend grâce aux Antiques, de Machiavel à La Boétie, en passant par Descartes, qui invitera à « changer [ses] désirs plutôt que l’ordre du monde » ( Discours de la méthode).

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