Immaculée conception
Un roman expérimental qui invite à l’impensable et dérange les habitudes de lecture.
Pour réussir à entrer dans le second roman d’Amélie Lucas-Gary, il faut d’abord accepter de baisser la garde. En laissant de côté ses attentes, renoncer à se raccrocher au connu, au déjà lu, et consentir à être sans cesse maintenu en position inconfortable. Car c’est bien à une drôle d’expérience littéraire que nous convie la jeune romancière avec ce livre déconcertant : brouillant sans cesse les pistes de son histoire plutôt simple, linéaire à première vue, elle nous pousse à reconsidérer nos habitudes, et à passer, de plain-pied, les portes de l’incongru.
C’est l’histoire d’une jeune femme qui tombe enceinte sans avoir jamais connu d’homme. Alors que commence son invraisemblable grossesse virginale, Emmanuelle, 16 ans, décide de quitter sa ville natale, Saint-Denis, pour s’engager dans un périple forcé sur les routes de France. Avec à sa trace des journalistes et un groupe de citoyens fascinés par la nouvelle d’une immaculée conception, la future mère sillonne un pays qui ne ressemble en rien à celui que nous connaissons. C’est une France sauvage, futuriste et païenne. D’abord par sa géographie, imaginaire et métaphorique : la voilà qui s’arrête à Engean, passe par la Souve, fait escale à Laumnes et Elang, passe du temps à Gagnes, prend un train pour Maraison… Mais aussi grâce aux personnages fantasmatiques qui l’habitent et qu’elle croise au cours de son périple. Il y a là d’étranges cérémonies religieuses et des foules hystériques, des maires qui montent en haut des cathédrales, des guides qui prononcent des discours au sommet des volcans… Chaque territoire traversé esquisse les frontières d’un espace symbolique où l’on se plaît à se sentir sans repères.
Porté par une écriture solennelle, d’une grande force expressive, le voyage d’Emmanuelle vous plonge dans une atmosphère bizarrement mystique, à la croisée du charnel et du conceptuel, du fantastique et de la métaphysique. Dans un avenir flottant, sans autre intrigue que ce ventre qui grossit dans le corps d’une mère, Amélie Lucas- Gary explore les mythes de la procréation et interroge, avec beaucoup d’originalité, la question de la maternité, de l’héritage, de la transmission. Empruntant à l’imagerie médiévale autant qu’à la science-fiction apocalyptique, elle livre un roman expérimental, fourmillant d’audaces et de clins d’oeil politiques et littéraires. Sa devise : « Tout déplacement sur une surface plane qui n’est pas guidé par une nécessité physique est une forme spatiale d’affirmation de soi. » E.L.