Une part animale
Après une première partie sur la vie d’écrivain, l’auteure nous plonge dans un étrange labyrinthe.
Qui n’a pas son Minotaure ? interroge Marguerite Yourcenar en exergue de L’Animal et son biographe, nouveau roman de Stéphanie Hochet. La bête n’apparaît pas tout de suite, mais on sait depuis longtemps que sa relation avec l’être humain obsède la romancière. Les chiens figuraient en bonne place dans Les Ephémérides et les félins étaient à toutes les pages de son Eloge du chat. Mais n’allons pas trop vite dans cette histoire qui traite d’abord de la vie quotidienne – et pas toujours glorieuse – d’un écrivain, invité d’un festival littéraire, intitulé Littérature en tongs, du côté de Cahors. Dans la chaleur de l’été, la narratrice a accepté une poignée de rencontres dans un camping de cette région, telle une attraction de fin de journée, à l’heure de l’apéritif et du retour de plage ou de randonnée. Le lendemain sont également prévues des tables rondes dans une librairie et une bibliothèque en présence du maire, garant de l’esprit culturel en région. On y parlera taxidermie, sujet d’un précédent roman de l’invitée, et plus largement du combat contre « l’exploitation de l’animal non humain », comme il est annoncé sur les affiches de la ville.
On sent dans cette première partie du livre le délicieux parfum du vécu, rappelant un autre ouvrage signé Serge Joncour, L’Ecrivain national. Mais, une fois le lecteur happé par ces anecdotes justement ironiques, Stéphanie Hochet s’empresse de filer ailleurs, du côté de Stephen King, de la mythologie et des contes de fées. Car un personnage s’impose brutalement, telle la statue du Commandeur. Il est maire de Marnas, porte en lui un très grand projet et pense avoir trouvé la bonne personne pour l’aider à le réaliser. L’édile, passionné de chasse comme tous ses électeurs, est également fasciné par les « audacieux » travaux génétiques conduits en Allemagne dans les années 1920 sur l’aurochs, une bête préhistorique qu’ils tentèrent de ressusciter. Si les Allemands n’y parvinrent jamais, lui a lancé des expérimentations, soutenu par un mystérieux groupe suisse, et a réussi à le faire renaître. Pourquoi la romancière n’écrirait-elle pas la biographie de l’aurochs avant sa résurrection officielle? Commence encore un autre livre dans le livre où la manipulation est tour à tour narcissique, éthique, onirique et littéraire… Qui du lecteur ou de la narratrice parviendra à sortir du labyrinthe ? La réponse est, peut-être, dans les dernières lignes de ce beau roman intrigant porté par une écriture superbe.
Christine Ferniot