Grandir et devenir
Un recueil de nouvelles où l’auteure traite avec justesse d’un passage douloureux et inévitable – celui de l’adolescence.
Le père a mis ses écouteurs pour ne plus les entendre se disputer dans la cuisine. Il appelle cette musique discordante de l’adolescence une « crisette » et préfère se retirer dans son univers musical, laissant mère et fille serrer les dents pour ne pas hurler l’une sur l’autre. Mais à 14 ou 15 ans, la vie n’est qu’injustice, un combat pour rester populaire au collège et au lycée, être « validée » par le groupe. « Tu commets l’erreur une fois et tu es grillée à jamais », sur les réseaux sociaux, au coin de ta rue, dans la galaxie, pourquoi pas. Etre une meneuse, ça n’arrive qu’une fois, le jour où l’on porte les bonnes chaussures, identiques à celles de Rihanna sur la photo qui a fait le tour des magazines people. A la maison, les parents ont aussi leurs problèmes. Ils s’aiment et ne s’aiment plus, changent de partenaire, divorcent et pleurent dans leur chambre avant de commencer un régime ou de se remettre au sport. Ils veulent absolument que tout le monde s’adore, belles-mères, beaux-pères et autres pièces rapportées. Or, toutes ces grandes per- sonnes oublient trop facilement que leurs enfants les regardent agir, penser et se tromper. Autrefois exemplaires et soudain pitoyables, ils sont tombés de leur piédestal et ne comprennent rien à ces jeunes visages butés qui claquent la porte de leur chambre en soupirant.
Rebelles, un peu, les nouvelles de Claire Castillon sont comme des instantanés, des petits morceaux de chair qu’elle arrache au quotidien de ces ados à bout de nerfs qui parlent piercing et tatouages comme on crie dans la nuit. Elle est près d’eux quand ils pleurent leur enfance en pâte à modeler ou s’impatientent devant un avenir qui s’entrebâille trop lentement. L’auteure des Messieurs et de Dessous, c’est l’enfer n’en perd pas une miette, décortiquant ces quotidiens étouffants. Bien sûr, tout ça va passer, mais elle nous rappelle les douleurs infinies qui transforment le corps en un million de piqûres douloureuses. Ces moments où le moindre mot peut précipiter dans le désespoir, où le manque de confiance en soi est le pire des vertiges. Chaque texte décrit finement la valsehésitation entre rêve adulte et nostalgie d’enfant. En préservant une écriture caméra, Claire Castillon ne veut pas dominer son sujet mais rester collée à ces « rebelles » qui transformeront bientôt leurs colères en mélancolie, regrettant le « joli temps » de la jeunesse.
Christine Ferniot