Mortel hôtel
Les meurtres se multiplient et le héros a sept jours pour enquêter.
L’humour noir est souvent signe de bonne humeur et d’imagination foisonnante. Tel est le tempérament littéraire de Franz Bartelt, romancier qui sort régulièrement du bois – une quarantaine de romans, nouvelles, essais, livres illustrés ou chroniques depuis trente ans. Comme la majeure partie de son oeuvre, Hôtel du Grand Cerf a pour cadre ces Ardennes où il vit depuis l’enfance. Plus exactement, le village (fictif) de Reugny, qui « n’a pour ainsi dire pas changé depuis le début des années soixante », c’est-à-dire depuis qu’on y célèbre « le culte de Rosa et d’Armand ». Star mondiale du cinéma, Rosa Guligen formait avec son compagnon un de ces couples « que la foule fait mythe ou légende » . Venue ici pour un tournage, elle avait été découverte noyée dans la baignoire de sa chambre, à l’Hôtel du Grand Cerf. Depuis, celui-ci vivote en entretenant la mémoire et le mystère. Arrive Nicolas Tèque, journaliste parisien, pour un documentaire sur cette mort qu’on disait accidentelle. Par où et par qui commencer ? Les descendantes de Léontine Londroit, patronne de l’hôtel à l’époque? Le couple Monsoir, qui est parvenu à posséder une grande partie des terrains du village ? Brice Meyer, « idiot à face de lune » que même sa famille déteste car « c’est dur d’avoir un idiot à la maison » ? Richard Lépine, gérant du Centre de Motivation? Ou ces autres habitants, tous plus silencieux encore ? Tèque a une semaine pour enquêter, et le roman est bâti sur ces sept jours. Mais son arrivée a évidemment rouvert un panier de crabes : la Faucheuse reprend du service, et les morts s’additionnent. Personne n’est innocent, comprend vite l’inspecteur Vertigo Kulbertus, pourtant « beaucoup plus réputé pour son poids que pour son aptitude à résoudre les affaires criminelles » et qui n’est qu’à treize jours de la retraite. Mais le bourg, où le temps s’est arrêté, n’a que faire de ces deux hommes pressés. A ces deux espacestemps contraires, qui dictent le rythme de l’intrigue, Bartelt ajoute une galerie de portraits aussi solides que subtils, composant une peinture de moeurs villageoises où tout le monde se hait, se trompe, se trahit, mais se tait. Le noeud de l’affaire est toujours plus épais, au Grand Cerf. Jamais avare d’ironie ni de cocasserie, le roman rural et policier lorgne vers les films de Chabrol ou de Mocky, avec un humour aussi mélancolique que plaisant. Hubert Artus