Les lendemains qui déchantent
Au travers des Mandible, une famille qui se débat face à la faillite de son pays, l’auteure dresse une vision satirique de l’avenir du monde.
Ils ont d’abord connu « l’âge de pierre » . C’était dans les années 2025, aux Etats- Unis. Un premier président latino avait été élu, et l’espagnol devenait la première langue du pays. Les Américains de la classe moyenne apprenaient à vivre en basse consommation avec l’espoir que tout s’arrange du côté de la Bourse. Mais chez les Mandible, la vie était plutôt confortable. Les parents avaient du travail, restaient propriétaires de leur maison à Brooklyn, acceptant sans trop se plaindre de rationner l’eau et de simplifier leur nourriture en insistant sur le porc et le chou. Certes, les plus âgés regrettaient la fin des journaux et des livres en papier, mais la télévision fonctionnait encore et les jeux vidéo également.
Jusqu’au « jour où tout s’est arrêté ». Un soir de 2029, le président Alvarado prend la parole pour annoncer la faillite du pays. Rapidement, les situations se compliquent à tous les niveaux car l’argent des particuliers est réquisitionné, les salaires ne sont plus versés. Même les maisons de retraite sont vidées de leurs occupants qui n’ont plus les moyens de payer leurs mensualités. Après un temps de stupeur, chacun doit agir à sa manière, et, chez les Mandible comme dans d’autres familles, il faut apprendre à se serrer les coudes, se réunir et vivre dans une promiscuité qui devient vite intolérable.
Depuis son premier roman, Il faut qu’on parle de Kevin, en 2006, l’Américaine Lionel Shriver s’intéresse aux dysfonctionnements sociaux, familiaux, politiques de son pays. En 2012, elle engageait une attaque en règle des systèmes de santé américains avec Tout ça pour quoi. En 2014, dans Big Brother, elle évoquait une société malade d’elle-même à travers le corps d’un garçon déformé par la graisse et le surpoids. Cette fois, elle nous plonge dans une satire d’un réalisme brut, une « dystopie économique » qui s’apparente à la réalité de demain matin. Elle brosse le tableau d’un monde aveuglé par un confort qui l’empêche de regarder ailleurs, un pouvoir bancaire qui πse croit tout permis. Sans argent, sans échange monétaire, sans impôts ni pensions, il ne reste plus que les théories du complot pour tenir la population. Effrayant et plausible, Les Mandible est une parabole sauvée par l’humour, la description romanesque du pire. C.F.