Vieillesse ennemie
Les tribulations d’une septuagénaire visiteuse de résidences pour personnes agées.
Septuagénaire mais surtout pas retraitée, Fran parcourt l’Angleterre pour inspecter les résidences de personnes âgées. Ces hébergements pour seniors qui ne sentent pas toujours la rose et confondent nourriture abondante et qualités humaines. Il ne s’agit pas d’un parcours du combattant, plutôt d’un travail qu’elle veut rationaliser, évitant de songer qu’un jour prochain elle aussi prendra sa valise pour s’installer dans sa dernière chambre. Fran est à l’image de sa créatrice, Margaret Drabble, une femme caustique et réaliste, mais d’une tonicité qui balaye les peurs du lendemain. Les progrès de la médecine qui permettront de vivre vieux, puis très vieux, lui paraissent sans intérêt : « La longévité a foutu en l’air nos pensions, notre équilibre entre vie professionnelle et vie privée, nos services de santé, nos logements, notre bonheur. Elle a foutu en l’air la vieillesse elle-même », songe-t-elle dans sa voiture qui traverse les plus beaux paysages de GrandeBretagne. De rencontres amicales en discussions techniques, Fran picore les expériences drôles et tragiques, et sa pensée bondissante, ses réflexions sur la gourmandise devenue une obsession quotidienne brossent un tableau impressionnant de l’existence qui se rétrécit. Certains, ou plus souvent certaines, réussissent à domestiquer la peur à coups de thés, de marches sous la pluie ou d’audaces vestimentaires. D’autres trouvent dans la littérature de bonnes raisons de tester leurs tourments. En compagnie de Beckett, Hemingway, Doris Lessing ou Yves Bonnefoy, le temps change de signification. Et lorsqu’elles complètent leurs lectures d’un verre de Laphroaig et de quelques biscuits au gingembre, la vie prend tout son sens, et la mort n’est que papier.
Comme dans ses autres livres ( Une journée dans la vie d’une femme souriante, Un bébé d’or pur), Margaret Drabble réussit à mêler l’anecdote qui fait sourire à la réflexion puissante. Ses personnages tournoient, souvent drôles dans leurs courses dérisoires et toujours émouvants lorsqu’ils repoussent les angoisses devant la souffrance et la lâcheté. Elle n’est jamais une donneuse de leçon, mais une chroniqueuse de la société européenne qui aimerait bien mettre ses vieux sous le tapis avec la poussière. Et surtout, Margaret Drabble a de l’esprit, une érudition réjouissante et l’aplomb d’une insoumise. Christine Ferniot