A la mesure du monde
Poursuivant la chronique familiale, l’auteur offre à nouveau un grand moment.
Il suffit qu’un livre parle à votre âme pour que vous retombiez amoureux de la littérature. Celle de l’Islandais provoque ce sentiment. A la mesure de l’univers poursuit une « chronique familiale » débutée avec D’ailleurs, les poissons n’ont pas de pieds (Meilleur roman étranger de Lire en 2015, qui reparaît en Folio), où Ari, quinquagénaire, revenait au pays pour veiller son père mourant et découvrir un pan inconnu de son histoire. Stefánsson racontait et raconte encore une famille, à travers trois générations. Si le contexte du deuil paternel demeure, ce nouveau texte nous mène plus loin dans le tourment des passions et des secrets. Mais, au moyen d’incessantes digressions et d’allersretours entre passé (années 1980) et présent, il dépeint aussi la vie à Keflavík, port de pêche qui abrita jadis une base militaire américaine, devenue « une ville excentrée et surprenante », écrasée par le chômage et où « tout tourne autour du poisson. Il est le début et la fin, l’alpha et l’oméga » . Possédé par la grâce, le récit serpente, passant des protagonistes à la puissance des éléments, pour mieux dépeindre une Islande éternelle, un univers boréal – où tout ce qui gouverne la vie oscille entre la permanence du sacré et l’impermanence des choses. On notera chez Stefánsson une attention religieuse accrue (et nullement prosélyte), qui le rapproche d’un Christian Bobin. Dans un niveau de langue extrêmement élaboré (saluons le traducteur), il atteint ici une dimension naturaliste, méditative et purement métaphysique. Un roman pleinement à la mesure de son titre. A vous écorcher le coeur de bonheur. H.A.