La petite bête qui pique…
Erik ORSENNA et Isabelle de SAINT AUBIN Bien plus qu’une simple histoire du moustique, l’auteur nous invite à une série d’interrogations sur la science.
Que nous veulent ces petites bêtes ? Pourquoi nous piquer sans relâche? Quelles sont ces fièvres qui nous assaillent peu après ? Ces bêtes, les moustiques, circulent partout. Innombrables : 3564 espèces sont répertoriées. Mais on ne sait toujours pas comment s’en débarrasser. En nous racontant leur histoire, Erik Orsenna nous raconte aussi la nôtre.
Premier lieu : le Muséum national d’histoire naturelle, à Paris, familièrement appelé le Jardin des plantes. Première rencontre : Gilles Boeuf, ancien patron de ce havre de recherche et de transmission. Il sait, comme personne, montrer l’importance des insectes pour la vie sur Terre. Huit millions d’espèces animales s’agitent depuis quatre cents millions d’années avec succès. Ils mangent de tout, habitent partout, se reproduisent frénétiquement, et s’adaptent avec une facilité quasi infinie. Parmi eux, les moustiques sont des champions.
Ce livre, le quatrième de la série géopolitique d’Orsenna après Voyage aux pays du coton, en 2006, L’Avenir de l’eau, en 2008, et Sur la route du papier, en 2012 – tous des best-sellers –, est le plus excitant, le plus abouti. Qui ne s’interroge pas sur les maladies transmises par ces insectes à longues pattes et vrombissement d’hélicoptère ? Pour injecter les virus du paludisme, de la dengue, de la fièvre jaune et du Zika, entre autres, la femelle enfonce une mandibule perforante pour pomper notre sang. De quoi nourrir ses oeufs et assurer sa descendance. Chemin faisant, elle inocule les parasites dont sa trompe est chargée. L’auteur ne ménage pas son admiration pour les entomologistes d’hier, découvreurs de ces mécanismes, et ceux d’aujourd’hui, acharnés à reconnaître et contenir les épidémies responsables de près d’un million de morts par an. Moins que les hommes avec leurs guerres, mais plus que les serpents, crocodiles, lions et autres loups.
Pourrait-on éviter cette hécatombe? Bien sûr, affirme les acteurs de cette saga, si on s’en donnait les moyens. Donc si on en avait la volonté. Un seul cours d’entomologie médicale pour toute la France, c’est dire le peu d’intérêt des dirigeants pour ce combat. Ce livre, qu’on lit comme un polar, est une claire démonstration de la « méthode Orsenna ». L’écrivain, Prix Goncourt en 1988 avec son roman L’Exposition coloniale, sait accrocher son lecteur. Après plusieurs années de voyages et d’enquêtes, de rencontres avec des hommes remarquables, le romancier met en scène sa quête, comme un cinéaste son film. Dès lors, la science devient une suite de récits d’aventures. Ici, on va de Montpellier, la plus vieille faculté de médecine de France, au Cambodge, on passe de Guyane au Sénégal et en Ouganda, le quatrième pays le plus tou- ché par le palu. Celui où, en 1947, dans la forêt de Zika, on découvrit un virus inconnu, désormais présent sur tous les continents. En passant, Orsenna se permet quelques détours : la bataille des Dardanelles, en 1915, où toutes les armées en présence étaient dévorées par les moustiques. Seuls les Français étaient mieux protégés. Ou la côte du Languedoc où, pour attirer les touristes, on avait pensé éradiquer tous les insectes piqueurs. Ou encore l’histoire du DDT, vainqueur de tous les parasites volants, mais destructeurs de la nature à long terme.
Car Erik Orsenna ne s’interdit aucune question. Ainsi, il met ses interlocuteurs sur le gril, en leur demandant si on doit supprimer toutes ces bêtes à mandibules perçantes, et s’il n’en sortirait pas un monstre encore plus effrayant. Du coup, l’auteur se penche sur le mystère de la découverte en sciences. S’agit-il de persévérance ou de culot? D’acharnement quotidien ou de vision lucide de l’objectif futur? Toutes ces questions sont abordées avec vivacité, parfois avec humour, ou avec une pointe d’émotion à l’occasion. La lutte contre l’ignorance menée par un raconteur de grand talent. En montrant dans leur univers les savants, les médecins, les paysans, la science prend vie. Ici, ils sont tous unis contre la mort. Sans nier qu’elle fait partie de la vie.
Un million de morts par an, moins que les hommes avec leurs guerres, mais plus que les serpents, crocodiles, lions et autres loups