QUAND TOUT A ÉTÉ DIT…
Depuis que les Français sont appelés à élire le président de la République au suffrage universel, jamais ils n’ont connu de campagne aussi longue. « Et, dira-t-on, aussi courte en idées neuves et en propositions. » On aura donc une pensée indulgente pour les journalistes et autres politologues obligés de rebattre la campagne et de revenir interminablement sur tout ce qui a été dit dans les journaux, les livres, à la télévision et autres médias plus ou moins sérieux.
Roland Cayrol, expert patenté en élections et docteur ès sondages, publie à son tour un livre pour boucler cette surproduction littéraire et politique. Titre : Les Raisons de la colère. Sous- titre : L’Election de la dernière chance. On pourra contester l’un et l’autre. En politique il n’y a pas de dernière chance, mais une aimable règle selon laquelle « le pire n’est jamais sûr ». Quant à la colère, il s’agit plutôt en l’occurrence d’une extrême lassitude, d’une nausée. L’auteur est trop expérimenté pour croire que, dans notre « cher et vieux pays » qui en a vu d’autres et de pires, tout soit aujourd’hui irrémédiable. « Le peuple, écrit-il, ne comprend pas l’histoire qu’on lui joue. Il se lasse ou s’exaspère. Souvent les deux à la fois. » Bon, mais à qui la faute ? Cayrol ne nomme pas François Hollande car, expose-t-il, ses prédécesseurs sont également responsables : « C’est bien à cause du titulaire du pouvoir politique, à cause de son refus de nous expliquer son projet et son changement de cap une fois élu que nous nous détournons de lui chaque fois. » Après ce reproche majeur, l’auteur énumère les raisons de cette supposée colère des Français : ne s’agit-il pas plutôt d’un gros écoeurement ? Les colères se manifestent dans la rue, à coups de pavés, et rien de tel n’est, grâce au Ciel, en vue. Mais Cayrol ne laisse rien passer, des promesses politiques non tenues (concernant notamment le chômage) à l’absentéisme affiché de nos parlementaires : « Est-il possible qu’un député ne vienne au Palais-Bourbon que deux jours ou deux jours et demi par semaine? » s’indigne-t-il. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que les grandes réformes promises s’enlisent dans toutes sortes de corbeilles : quatre mois de perdus sur celle du Code du travail, et presque autant sur la déchéance de nationalité… « pour n’aboutir à rien ».
Sagement, Cayrol évite de crier avec les loups. Il a compulsé les enquêtes d’opinion : 22,5 % des Français jugent nos élus « plutôt honnêtes », mais hélas ! 76 % les considèrent « plutôt corrompus » . Résultat de ce diagnostic : « Tout concourt dans notre régime à un système fortement déséquilibré où le président est un maître du jeu absolu… Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, conclut le maître Cayrol, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Voeu pieux : dans le livre brûlot qui a fait exploser la campagne présidentielle, trois minutieux journalistes, Recasens, Hassoux et Labbé, rappellent que Hollande, Cazeneuve, Valls, tout comme leurs concurrents ont été incapables de réformer profondément le fonctionnement de la machine policière sclérosée par des querelles de chapelle. Nos auteurs ont mené une sévère enquête qui donne le tournis et même, là encore, la nausée. Le candidat de la droite et du centre, brandissant ce livre, s’est estimé victime d’un « cabinet noir » téléguidé par l’Elysée. Or, en 2014, le retour aux affaires (policières) de fidèles chiraquiens « nourrit évidemment les soupçons sarkozystes d’un cabinet noir ». Nos auteurs écrivent avec une imperceptible malice : « Il n’est pas possible d’en apporter la preuve formelle. Comme il n’est pas possible de prouver le contraire. » L’invraisemblable guerre que se livrent nos innombrables services de police nourrit immanquablement cette maladie contagieuse, la paranoïa. Une guerre d’autant plus acharnée que chaque rouage, chaque homme dans cette drôle de machine policière est appelé à rouler pour un politique ou contre un politique, ce qui revient au même.
Après ces deux lectures édifiantes et désolantes, on trouvera un réconfort dans un petit livre intitulé On ne peut rien contre la volonté d’un homme. Son auteur, Damien Carême, est depuis seize ans, l’un des dix « meilleurs maires du monde ». Il collectionne les médailles dorées pour la biodiversité, le fleurissement, l’arbre, le bio, l’énergie citoyenne… et surtout pour son action en faveur des migrants, notamment l’ouverture d’un camp de réfugiés.
Sa commune n’est pourtant pas ordinaire : Grande-Synthe, à proximité de Calais, compte 24000 habitants, 30 % sous le seuil de pauvreté et 24 % au chômage. Son ardente obligation s’appelle l’optimisme. « Mon devoir, écrit-il, est de préparer Grande-Synthe à supporter cette décision couperet : je sais qu’un jour les usines plieront bagage… Mon rôle est d’adoucir le présent en imaginant un futur viable. […] Nous, les maires, nous avons le pouvoir de faire bouger les lignes, d’aller très vite. » Damien Carême est visiblement fier des résultats déjà obtenus : dans sa commune, il a « fait » le logement social à basse consommation, avec bus gratuit en 2018, sport et culture accessibles à petit prix, etc. « Ma ville, affirme-t-il, n’a pas peur de l’avenir, elle en écrit une nouvelle page à l’encre verte. »
Ce n’est pas courant ces jours-ci, n’est-ce pas? un homme politique qui se déclare fier de son bilan. Sa recette s’écrit d’un mot : la volonté.