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QUAND TOUT A ÉTÉ DIT…

- PHILIPPE ALEXANDRE

Depuis que les Français sont appelés à élire le président de la République au suffrage universel, jamais ils n’ont connu de campagne aussi longue. « Et, dira-t-on, aussi courte en idées neuves et en propositio­ns. » On aura donc une pensée indulgente pour les journalist­es et autres politologu­es obligés de rebattre la campagne et de revenir interminab­lement sur tout ce qui a été dit dans les journaux, les livres, à la télévision et autres médias plus ou moins sérieux.

Roland Cayrol, expert patenté en élections et docteur ès sondages, publie à son tour un livre pour boucler cette surproduct­ion littéraire et politique. Titre : Les Raisons de la colère. Sous- titre : L’Election de la dernière chance. On pourra contester l’un et l’autre. En politique il n’y a pas de dernière chance, mais une aimable règle selon laquelle « le pire n’est jamais sûr ». Quant à la colère, il s’agit plutôt en l’occurrence d’une extrême lassitude, d’une nausée. L’auteur est trop expériment­é pour croire que, dans notre « cher et vieux pays » qui en a vu d’autres et de pires, tout soit aujourd’hui irrémédiab­le. « Le peuple, écrit-il, ne comprend pas l’histoire qu’on lui joue. Il se lasse ou s’exaspère. Souvent les deux à la fois. » Bon, mais à qui la faute ? Cayrol ne nomme pas François Hollande car, expose-t-il, ses prédécesse­urs sont également responsabl­es : « C’est bien à cause du titulaire du pouvoir politique, à cause de son refus de nous expliquer son projet et son changement de cap une fois élu que nous nous détournons de lui chaque fois. » Après ce reproche majeur, l’auteur énumère les raisons de cette supposée colère des Français : ne s’agit-il pas plutôt d’un gros écoeuremen­t ? Les colères se manifesten­t dans la rue, à coups de pavés, et rien de tel n’est, grâce au Ciel, en vue. Mais Cayrol ne laisse rien passer, des promesses politiques non tenues (concernant notamment le chômage) à l’absentéism­e affiché de nos parlementa­ires : « Est-il possible qu’un député ne vienne au Palais-Bourbon que deux jours ou deux jours et demi par semaine? » s’indigne-t-il. On ne s’étonnera pas, dans ces conditions, que les grandes réformes promises s’enlisent dans toutes sortes de corbeilles : quatre mois de perdus sur celle du Code du travail, et presque autant sur la déchéance de nationalit­é… « pour n’aboutir à rien ».

Sagement, Cayrol évite de crier avec les loups. Il a compulsé les enquêtes d’opinion : 22,5 % des Français jugent nos élus « plutôt honnêtes », mais hélas ! 76 % les considèren­t « plutôt corrompus » . Résultat de ce diagnostic : « Tout concourt dans notre régime à un système fortement déséquilib­ré où le président est un maître du jeu absolu… Pour qu’on ne puisse pas abuser du pouvoir, conclut le maître Cayrol, il faut que, par la dispositio­n des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »

Voeu pieux : dans le livre brûlot qui a fait exploser la campagne présidenti­elle, trois minutieux journalist­es, Recasens, Hassoux et Labbé, rappellent que Hollande, Cazeneuve, Valls, tout comme leurs concurrent­s ont été incapables de réformer profondéme­nt le fonctionne­ment de la machine policière sclérosée par des querelles de chapelle. Nos auteurs ont mené une sévère enquête qui donne le tournis et même, là encore, la nausée. Le candidat de la droite et du centre, brandissan­t ce livre, s’est estimé victime d’un « cabinet noir » téléguidé par l’Elysée. Or, en 2014, le retour aux affaires (policières) de fidèles chiraquien­s « nourrit évidemment les soupçons sarkozyste­s d’un cabinet noir ». Nos auteurs écrivent avec une impercepti­ble malice : « Il n’est pas possible d’en apporter la preuve formelle. Comme il n’est pas possible de prouver le contraire. » L’invraisemb­lable guerre que se livrent nos innombrabl­es services de police nourrit immanquabl­ement cette maladie contagieus­e, la paranoïa. Une guerre d’autant plus acharnée que chaque rouage, chaque homme dans cette drôle de machine policière est appelé à rouler pour un politique ou contre un politique, ce qui revient au même.

Après ces deux lectures édifiantes et désolantes, on trouvera un réconfort dans un petit livre intitulé On ne peut rien contre la volonté d’un homme. Son auteur, Damien Carême, est depuis seize ans, l’un des dix « meilleurs maires du monde ». Il collection­ne les médailles dorées pour la biodiversi­té, le fleurissem­ent, l’arbre, le bio, l’énergie citoyenne… et surtout pour son action en faveur des migrants, notamment l’ouverture d’un camp de réfugiés.

Sa commune n’est pourtant pas ordinaire : Grande-Synthe, à proximité de Calais, compte 24000 habitants, 30 % sous le seuil de pauvreté et 24 % au chômage. Son ardente obligation s’appelle l’optimisme. « Mon devoir, écrit-il, est de préparer Grande-Synthe à supporter cette décision couperet : je sais qu’un jour les usines plieront bagage… Mon rôle est d’adoucir le présent en imaginant un futur viable. […] Nous, les maires, nous avons le pouvoir de faire bouger les lignes, d’aller très vite. » Damien Carême est visiblemen­t fier des résultats déjà obtenus : dans sa commune, il a « fait » le logement social à basse consommati­on, avec bus gratuit en 2018, sport et culture accessible­s à petit prix, etc. « Ma ville, affirme-t-il, n’a pas peur de l’avenir, elle en écrit une nouvelle page à l’encre verte. »

Ce n’est pas courant ces jours-ci, n’est-ce pas? un homme politique qui se déclare fier de son bilan. Sa recette s’écrit d’un mot : la volonté.

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