Du plomb dans la bête
L’enfer des abattoirs est au coeur d’ouvrages-chocs de la rentrée. Histoire de nous faire découvrir le calvaire des bêtes condamnées, mais aussi les conditions de ceux qui travaillent dans ces usines de la mort.
Nous pouvons tous être de la chair à canon
Il convient toujours de s’attarder sur le sens de certains mots. Prenez, par exemple, le terme « condition » , qui désigne à la fois la place de quelqu’un dans un groupe social, la situation temporelle d’un individu et l’inexorable destin d’un être. Toutes ces potentielles définitions prennent une signification très particulière lorsqu’on accole à cette « condition » l’adjectif « humaine » ou « animale ». Certains titres forts de cette rentrée littéraire ne manquent d’ailleurs pas de nous rappeler cette proximité entre le « cheptel » des hommes et le troupeau des bêtes programmées pour être consommées.
DES ANIMAUX ET DES HOMMES
Auteur du bouleversant Règne animal (couronné par le prix du Livre Inter), JeanBaptiste Del Amo s’interroge à nouveau sur la souffrance des bêtes. Non pas avec la fiction, mais dans un document secouant, L214: une voix pour les animaux (Flammarion, en librairie le 7 septembre), évocation du combat de cette association controversée, qui se revendique comme « un outil au service de la question animale ». L’écrivain décrit ici la vie et les motivations des militants, qui s’engagent aussi bien à travers des actions coup de poing ( filmer et diffuser ce que l’on ne saurait voir…) que par la voie des tribunaux. Mais, bien sûr, il n’oublie pas de nous montrer les « réalités de l’élevage » (pour les poules, les porcs, les lapins…) et la barbarie dans les abattoirs, exemples à l’appui, pour en tirer une réflexion sur notre rapport aux animaux et aux potentiels droits de ces derniers. Deux premiers romans s’attachent aussi à ces travailleurs de l’ombre et du froid. Dans Jusqu’à la bête (Asphalte), Timothée Demeillers fait le portrait d’un pauvre bougre oeuvrant dans ces endroits où l’on transforme des bovins en viande pour barquettes de supermarché. Alors qu’il transbahute de la barbaque, Erwan songe au parcours qui l’a mené à cette vie et à sa relation avec une saisonnière, Laëtitia – mais le climat et la mécanique des lieux laissent augurer d’une tragédie à venir, implacable compte à rebours… François, le héros des Liens du sang d’Errol Henrot ( Le Dilettante), travaille dans un établissement comparable, loin de la ville, et commet de manière mécanique, sempiternellement, les mêmes gestes – ceux que, déjà, son père accomplissait. Triste répétition de l’histoire ?
Situant l’action de son nouveau – et remarquable – roman dans un abattoir de volailles en Bretagne, Arno Bertina décrit dans Des châteaux qui brûlent (Verticales) la prise en otage d’un secrétaire d’Etat par les employés de cette usine en liquidation. Faisant se succéder les monologues des protagonistes (politiques à différents niveaux, salariés – aussi bien au conditionnement qu’à l’équarrissage –, agents du GIGN…), l’écrivain se permet ici de nombreuses audaces formelles collant à son sujet et nous fait comprendre que, quel que soit notre statut, nous pouvons tous être de la chair à canon. Tous devenir les dindons de la farce. B.L.