L’homme des bois
A deux heures de Bordeaux – où il a sa résidence principale –, le réalisateur et romancier se ressource dans sa maison en Dordogne, en plein coeur de la forêt. Gare toutefois aux braconniers s’ils croisent sa Winchester !
On n’aurait pas dû croire la publicité. Ainsi, la SNCF se targuait-elle de proposer un TGV Paris-Bordeaux en deux heures (enfin, 2h04), quelques jours avant notre venue chez Marc Dugain. C’était sans compter sur les vingt-quatre minutes de retard qui eurent raison de la correspondance pour Trémolat, où notre hôte nous attendait pour midi. Il y avait de quoi rager : l’auteur de La Chambre des officiers a en effet son domicile principal dans la cité girondine et, allez savoir pourquoi ?, nous avons préféré lui rendre visite dans sa résidence secondaire, à 180 kilomètres de là. Pas de correspondance avant quatre heures, plus une seule voiture de loca- tion disponible (à un tarif raisonnable), mais heureusement un chauffeur est disponible et prêt à nous emmener dans cette petite bourgade, en plein coeur de la Dordogne. On en profite pour observer des vignobles de la région et de discuter de l’intérêt des Chinois pour la production viticole girondine. A notre arrivée dans ce petit village, quelques panneaux nous montrent toutefois que les trésors locaux n’ont pas forcément grand rapport avec les grands crus : c’est la truffe qui est ici la reine. « Désolé, je n’en ai pas à vous proposer pour le déjeuner », s’amuse Marc Dugain, venu nous chercher, au volant de sa voiture hybride (« en ce moment, je cherche un 4x4 d’occasion… »). Les traditions se perdent.
Alors qu’il est au volant, ce maître des best-sellers nous parle de ce petit bout de France – « nous sommes sur la commune de Paunat » –, très boisé. Il tourne alors dans un petit chemin, en pleine forêt, qui nous mène jusqu’à sa maison – un véritable décor de « slasher movie » avec tueur masqué se promenant sa hache à la main… « Cette baraque, je ne l’ai que depuis quelques semaines. Mais je connais bien la région, même si je n’en suis pas tout à fait originaire. » L’écrivain évoque alors sa famille, venue d’un peu partout – Pologne, Irlande, Bretagne… S’il est né au Sénégal, le jeune Marc aurait dû voir le jour au Viêt Nam. Et c’est parce que l’un des meilleurs amis de son père (physicien nucléaire globetrotteur) s’est installé dans la région que ce dernier a choisi de le suivre et d’y installer la demeure familiale. « Le climat du Périgord ressemble d’ailleurs un peu à celui de l’Afrique. » Il a donc grandi dans le coin, l’a aimé – et, depuis, a transmis cet amour à ses enfants. Cette demeure, il a dû s’en séparer avant d’en racheter une autre, en 2008, avec sa grande amie Fred Vargas (« elle est comme ma soeur ! »), et de la revendre. « Elle était magnifique, mais trop grande. Et celle que j’ai aujourd’hui, si elle s’avère certes plus petite, je la convoitais depuis des années… Il y a eu une opportunité et je n’ai pas hésité. » D’autant que les seuls murs ne représentent qu’une infime partie du domaine, Marc Dugain possédant les 73 hectares de forêt (pour l’essentiel) qui les entourent ! « J’adore m’y promener. Tous les jours, j’y croise des animaux – des sangliers, des mouflons, des cerfs, des chevreuils… Les gens sont libres de s’y promener, cela ne me gêne pas. Mais ils doivent respecter l’environnement, c’est notre bien commun. » Défenseur des « valeurs écolo », il nous parle alors de la végétation – en particulier des chênes (« qui vont disparaître ici d’ici vingt ans, en raison du réchauffement climatique ») –, du problème de la raréfaction de l’eau, des chasseurs, des vaches laitières et, évidemment, des truffes. « Je sais bien qu’en raison du cours de cellesci, beaucoup de personnes sont à l’affût sur ma propriété. Mais, bon, j’en ai assez pour pouvoir en partager avec les amis quand ils viennent… » A ce titre, il est l’heure de déjeuner.
On fait alors connaissance avec deux des enfants de l’auteur, son épouse, Emmanuelle, et la baby- sitter, Alice. A table, la discussion tourne autour de quelques questions politiques, de la vue magnifique sur toute la vallée ( « oui, tout ça, c’est à moi… », ironise-t-il) et de la prochaine rentrée littéraire. « Je suis dans une situation particulière, s’amuse la compagne de Marc Dugain. D’un côté, mon mari sort un roman; de l’autre, c’est aussi le cas de mon père [N. B. : Jean-Michel Delacomptée]. J’espère qu’il n’y aura pas de rivalité entre eux (rires) ! » On lui objecte qu’on peut lire les deux : Ils vont tuer Robert Kennedy pour le premier ; Le Sacrifice des dames pour le second. La température doit frôler les 40 degrés et les enfants courent autour de la maison – pensant déjà à un petit plongeon dans la piscine.
UNE VIE MULTIPLE
On rentre alors à l’ombre, pour prendre le café. Dans le salon, on remarque immédiatement des médailles encadrées. « Ce sont celles de mon grandpère qui avait participé à la guerre de 14- 18, et il en était très fier » , précise l’auteur – un personnage essentiel dans sa vie puisque son destin lui a inspiré La Chambre des officiers. Dans la bibliothèque, un cerf et un sanglier miniatures se regardent en chiens de faïence, près d’une photo de la mère de Marc Dugain, en tenue de magistrate. De l’autre côté de la cheminée, les DVD s’accumulent – on y trouve Bullitt, l’intégrale de Dirty Harry et des coffrets de séries TV. Et pour cause: au-delà de sa production littéraire, ce boulimique de travail (« je ne me vois pas comme tel, mais quand les choses m’intéressent, je m’y consacre pleinement ! ») planche également avec sa maison de production sur différents projets pour le petit écran. Et il ne faudrait pas oublier son nouveau longmétrage ( rappelons qu’il a déjà signé l’adaptation d’Une exécution ordinaire), tiré de L’Echange des princesses, de Chantal Thomas( Cet ancien expertcomptable devenu homme d’affaires ( combien de vies Marc Dugain a-t-il eues ?) saisit alors un magnifique jeu d’échecs, qu’on lui a offert en Chine – un pays où il a reçu un prix littéraire, gravé sur une plaque exposée dans la pièce, déposée ici à côté d’un étrange tableau. « Oui, il m’est arrivé de peindre, dans le passé. Et je crois que cela va
me reprendre, un jour ou l’autre… » Il est temps de monter à l’étage, car les enfants veulent regarder un film – Alice a alors la judicieuse idée de leur montrer Alice au pays des merveilles… Il n’y a pas besoin de panneau d’indication puisque c’est le vrai maître des lieux qui nous montre l’escalier : le chat. « Je vous présente Min Elskede – cela signifie « ma chérie », en danois… Mais on l’appelle Miss Kate… » La charpente impressionne par son côté très brut, notamment dans la grande chambre. Mais Marc Dugain nous amène en direction du petit bureau – où il a posé son ordinateur –, avec un lit.
L’INDIVIDU FACE À L’HISTOIRE
« Attendez, il faut que je vous montre quelque chose… » Quelques minutes plus tard, il revient avec un petit fusil entre les mains. Soudain, on imagine le pire – le syndrome Jack Nicholson dans Shining? « C’est une Winchester Henry. Je l’ai eue par un ami armurier… » Posée sur le lit, l’arme semble amuser le félin, dont on espère qu’il ne connaît pas le fonctionnement de la gâchette. D’autant que le fin connaisseur en carabines nous désigne quelques balles. « Tenez, c’est avec ce calibre qu’on a flingué Robert Kennedy! » Le nom du frère de JFK ne revient pas par hasard dans la discussion: après avoir évoqué ce clan dans Avenue des géants, le nouveau roman de Marc Dugain évoque en effet l’assassinat, le 5 juin 1968, du candidat déclaré à l’élection présidentielle américaine. Mais Ils vont tuer Robert Kennedy ne se contente pas seulement de revenir sur le contexte du meurtre, ses explications et la personnalité du coupable, Sirhan Sirhan. Le romancier signe une vraie fiction et met en parallèle ce moment tragique et la quête d’un historien convaincu que le décès de ses parents n’est pas sans lien avec la mort du politicien. « Dans tous mes livres, je cherche toujours à mettre l’individu face à l’Histoire, en étant si possible le plus proche des faits. Mon modèle, toutes proportions gardées, c’est le Tolstoï de Guerre et Paix ! Il faut juste trouver le moyen de faire cohabiter les personnages véritables et ceux qui sont le fruit de l’imagination. » Il en résulte ici un vrai bon thriller paranoïaque, efficace, impeccablement documenté (sans écraser l’intrigue), riche en rebondissements – et peut-être plus personnel qu’il n’y paraît, pour ce grand connaisseur en géopolitique avec lequel, sans transition, on se met à parler des révélations du Canard enchaîné sur François Fillon. Pas forcément un complot…
Hors de toute digression conspirationniste, nous sortons dans la petite grange à côté, où l’auteur entrepose quelques stères de bois et laisse traîner quelques affaires de sport : ses baskets pour courir, son vélo et sa selle – il a des chevaux qui gambadent non loin de là… Un vrai Clint Eastwood, décidément. Puis on frappe à la porte du petit bâtiment connexe, où la baby-sitter feuillette un livre sur le lit. Marc Dugain nous révèle alors une pièce essentielle à ses yeux: le vrai bureau de son grand-père maternel, sur lequel il a écrit ses romans. « Je travaille toujours le matin pour pouvoir être tranquille le reste de la journée. » Son prochain chantier (extraprofessionnel) ? « Une cabane dans les arbres, je pense. » A la grande joie des enfants…
Mais Emmanuelle nous fait remarquer, à juste titre, qu’il est temps de reprendre le train, et Marc Dugain nous raccompagne à la gare de Trémolat. « En fait, vous auriez mieux fait de prendre l’avion… » Et l’auteur s’y connaît : avant de devenir le champion des librairies, il a dirigé une compagnie aérienne, Proteus Airlines. On le saura pour la prochaine fois – et on apprendra à repérer les truffes…