Karl Ove KNAUSGAARD
« Se souvenir et écrire, c’est la même chose »
Ses initiales pourraient suffire à le présenter : KOK. Une synthèse entre des livres qui nous mettent KO et un auteur qui répond OK à notre désir de tout savoir sur sa vie. Avec son oeuvre autobiographique en six tomes – dont Aux confins du monde est le quatrième –, Karl Ove Knausgaard s’est aujourd’hui imposé comme une référence absolue du genre, valant à son auteur au look de pop star un immense succès dans le monde entier. Ses ouvrages s’écoulent à des millions d’exemplaires – notamment dans les pays scandinaves et anglosaxons –, ses rencontres aussi bien dans les librairies que dans les universités attirent une foule gigantesque, on le dit même déjà « nobélisable ». Pourtant, le « Proust norvégien » (surnom qu’on lui attribue souvent) n’a pas encore la notoriété qu’il mérite dans l’Hexagone, pays qui a pourtant pour tradition de mettre à l’honneur les récits intimes, mais dont bon nombre de plumes, sur le sujet, peinent, malgré les enthousiasmes de la presse, à dépasser les frontières. Si l’écriture de Knausgaard n’a rien à voir avec les longues phrases virtuoses et mélancoliques du « petit Marcel », ce style n’en est pas moins secouant : il est brut, juste, vrai et donne un effet de réel saisissant à ce qu’il décrit, en particulier lorsque les faits n’ont rien de spectaculaire. Après avoir évoqué un père tyrannique et alcoolique, sa relation avec son épouse en Suède (sa découverte de la paternité, aussi) et son enfance norvégienne, KOK revient sur ses années où il a enseigné, dans une petite bourgade de pêcheurs, alors qu’il avait 18 ans. S’il ne s’agit en rien d’une vocation, le grand adolescent pense déjà à l’avenir: aux destinations inconnues et à l’écriture qui le titille. Mais il y a la musique, les nuits, la solitude qui vous rattrape toujours, l’alcool et ses effets secondaires, sans oublier la tentation des filles, parfois trop jeunes… Tout ce magma – d’où jaillit par instants une chronique sociale jamais appuyée –, Knausgaard le transcende dans un flux d’écriture fascinant, dans lequel tout le monde, mystérieusement, peut se reconnaître, même en ayant des parcours ou des obsessions très différentes. Vertige assuré, et, dès lors, gare à l’addiction au KOK.
Quand vous êtes-vous mis en tête de devenir écrivain?
Karl Ove Knausgaard. Oh, j’étais encore au lycée, je devais avoir 17 ans et je ne savais alors pas trop ce que j’allais faire de ma vie. Comme je le raconte dans Aux confins du monde, je n’avais pas de plan particulièrement établi. Il y avait une possibilité de devenir enseignant, et j’ai saisi cette opportunité qui m’est tombée dessus, un peu par hasard. C’est alors que je me suis mis à écrire, et écrire encore et toujours, aussi bien après les cours que durant le week-end – je crois d’ailleurs que vous avez une idée de ma vie, en lisant le livre (rires)… Comme je n’avais pas d’idées précises sur ce qu’on appelle la « bonne littérature », cela m’a semblé facile d’écrire. Je ne me posais pas de questions théoriques sur le sujet, tout en découvrant toute une série d’auteurs, sans notion de hiérarchie. En particulier des écrivains américains comme Charles Bukowski. J’aimais leur liberté, ils ont été un déclic, et je crois que j’avais envie de suivre leur ligne.
Mais, lorsque vous étiez encore enfant, aviez-vous déjà eu la tentation de l’écriture, avec un journal, des nouvelles ou des débuts de roman?
Un journal, non. Mais j’avais essayé de rédiger quelque chose ressemblant vaguement à un roman aux alentours de 10 ans. Je lisais alors beaucoup de fictions, plus ou moins longues, et, en particulier, des histoires d’aventures maritimes. Inspiré et fasciné par celles-ci, j’ai dû arriver à une vingtaine de pages. Mon grand frère m’a dit : « Mais, voyons, personne n’écrit sur un sujet pareil! Tu ferais mieux d’écrire sur le monde d’aujourd’hui. » Je l’ai écouté et j’ai arrêté mon projet, qui pourtant, je vous assure, partait bien (rires)…
Avez-vous grandi dans une famille où on lisait beaucoup?
Oui, ma mère était une grande lectrice. Dans ce pan de famille, le livre était important, essentiel. Mon grand-père maternel avait d’ailleurs fondé la bibliothèque de ma région d’origine.
Quelle a été l’influence de certaines valeurs religieuses ou morales sur votre oeuvre?
Je ne sais pas vraiment. J’ai grandi dans un milieu, me semble-t-il, assez agnos- tique. Mes parents ne se préoccupaient pas des questions de religion et ne m’ont pas bercé dans celles-ci. Mais, quand j’ai déménagé vers 30 ans dans le sud de la Norvège, j’ai découvert un univers beaucoup plus marqué par le christianisme, avec des jeunes gens très croyants et une grande partie de la population qui se rendait à l’église. Je me sentais très différent.
Vous avez fini par devenir écrivain, tout d’abord avec deux romans ayant eu un succès d’estime. Mais votre nom s’est vraiment imposé avec la parution de votre somme autobiographique, Mon combat – dont le premier tome, La Mort d’un père, est paru en Norvège en 2009. Comment avez-vous eu l’idée de ce projet?
Tout ça a débuté par quelque chose de complètement anecdotique, qui n’aurait pas dû porter à conséquence. Je tentais, tant bien que mal, de mettre la main à un roman sur lequel je gambergeais depuis quatre ans. Sans succès. Il y avait de quoi être dépité et de tout abandonner. Alors, je me suis dit que je devais tenter autre chose. J’ai alors commencé à raconter un moment de mon enfance que j’avais totalement oublié, couchant sur le papier des choses, honteuses à mes yeux, que je n’avais dites à personne. Ce que je venais d’écrire ne ressemblait à rien de ce que j’avais rédigé jusqu’alors. J’ai donc continué à explorer ma vie, à cadrer un peu mes confessions et à y incorporer des personnes de mon entourage. Dans le même temps, je me suis mis à lire beaucoup, beaucoup de journaux d’écrivains, dont certains m’ont pour ainsi dire captivé. Presque hypnotisé. De manière plus ou moins consciente, je me suis dit que ces purs morceaux de vie, il faudrait les mettre dans un roman. Je voulais que ce ressenti de la confession soit présent dans mes écrits, et que cela devait passer par l’utilisation du nom des vraies personnes et des vrais décors. La mort de mon père a été un déclic, nos relations ayant été compliquées et tumultueuses. Je savais que c’était sur ce sujet que je devais travailler. L’aventure était lancée, et j’avais ce cadre très précis de vérité, auquel je devais me soumettre. Se souvenir et écrire, c’est la même chose pour moi.
Lors de sa sortie, La Mort d’un père fit scandale dans votre pays. Pourquoi?
Oh, il y a eu une attention toute particulière sur ce livre. Les journaux en ont beaucoup parlé, et pas forcément pour les bonnes raisons. Un journaliste, qui avait reçu l’ouvrage en avant-première et ne l’avait pas lu jusqu’au bout, a appelé ma famille. Celle-ci a cherché à faire bloquer sa parution. Avant même qu’il arrive en librairie, La Mort d’un père a donc beaucoup fait parler… Il faut savoir qu’en Norvège nous n’avons que très peu d’ouvrages relevant des Mémoires, de l’autobiographie. Ce n’est pas un genre qui nous est très familier – contrairement à la culture française… Il y a donc eu un scandale car mon livre était l’un des premiers titres à mettre en avant les vrais noms des protagonistes, et à les mettre dans des situations bien réelles. Cela a, je crois, choqué beaucoup de gens. Mais les a fascinés, aussi, car mon père était un peu connu. Mais je crois que, dans votre pays, vous avez connu une affaire de ce genre avec la parution du livre d’Edouard Louis, c’est bien cela ? En Norvège, il y a eu toute une polémique, dans les journaux, à la radio ou à la télévision, autour de La Mort d’un père. On le lisait, on en parlait, chacun avait son avis. L’intérêt pour Mon combat est venu de là.
Votre oeuvre a également fait scandale pour une autre raison: son titre fait tout de même explicitement référence à Mein
Kampf! Pourquoi avoir opté pour cet intitulé? Simple provocation?
C’est la question que l’on me pose le plus souvent. Et je peux tout à fait le comprendre. D’ailleurs, quand j’ai dit à mon éditeur que je voulais intituler cette série autobiographique Mon combat, sa première réaction a été de dire: « Non, tu ne peux pas faire cela. » Quelques jours plus tard, il a finalement changé d’avis. Au dé-
Le livre, c’est 50 % l’écrivain et 50 % le lecteur. C’est une affaire de rencontre
part, le titre de travail de mon autobiographie était « Argentina ». Ça n’allait pas, j’en étais bien conscient. Un jour, je parlais avec un ami au sujet de Hitler, et, dans la discussion, il me dit que « Mon Combat » serait un titre parfait. Je me suis soudain aperçu, comme une évidence, qu’il avait totalement raison. Là réside tout l’objet de mon travail : un combat, le mien, et il est avec la vie, avec le quotidien. Et, mieux, mon combat à moi va éliminer celui de Hitler. Notez qu’il y a une différence en raison de la langue: moi, c’est « Min kamp » , et Hitler, c’est « Mein Kampf » ! Je ne vous cache pas qu’il y a également un peu d’ironie, de provocation. L’échec, les malentendus et la faiblesse humaine que je décris sont complètement absents dans le livre de Hitler. Toutes ces choses n’existent pas dans le texte ! Il n’y a chez lui que de l’héroïsme, et l’ensemble est placé sous un joug idéologique. Ce que je raconte est à l’opposé, dénué de toute idéologie. C’est juste la vie d’un quidam n’ayant rien d’un héros, dans son quotidien, qui raconte son histoire. J’explicite toutes ces différences dans le sixième tome. Quand il avait 16 ans, Hitler était très amoureux d’une fille, mais il ne pouvait pas l’approcher. Il était trop petit, et il était condamné à vivre son amour à distance, tout en restant obsédé par son aimée – laquelle ne savait sans doute même pas qu’il existait. Il a dû déménager et lui a envoyé des cartes postales qu’il ne signait même pas… J’ai alors réalisé que cette histoire n’était pas si différente de la mienne. Aujourd’hui, en Norvège, quand on parle de Mon combat, on pense davantage à mon livre qu’aux écrits de Hitler. En un sens, c’est une bonne chose : c’est un retour vers davantage d’humanité.
Au-delà de votre parcours, avez-vous cherché à brosser le portrait de la société scandinave? Vous êtes né et avez grandi en Norvège et vivez désormais en Suède…
Je cherchais surtout à être vrai. Et je ne me suis pas posé de questions sur ce que je voulais dire. Il n’y avait pas un projet précis, avec un désir très structuré de parler du monde. Lorsque je suis dans le processus d’écriture, le temps qui s’impose à moi est le présent, forcément. Que vous le vouliez ou non. Dès lors, je ne fais que consigner ce qui me passe par la tête, en voulant tout simplement dire quelque chose de la réalité. Naturel - lement, j’évoque alors le monde autour de moi, et la société au sens large. Mais il n’y a rien d’intentionnellement sociologique, idéologique ou politique.
Vous avez touché un large public, aussi bien en Scandinavie que dans les pays anglo-saxons. Ecrire sur sa vie – c’està-dire sur une expérience singulière –, est-ce paradoxalement le meilleur moyen de raconter quelque chose d’universel?
Il me semble que c’est le cas, alors que je ne l’ai pas toujours pensé. Il s’agit juste de se montrer très honnête. En même temps, quand j’étais très jeune, quels que soient les livres, j’ai toujours eu tendance à m’identifier très facilement aux personnages. Tout ce qui leur arrivait, j’avais la sensation de l’avoir vécu, je le vivais ou je me disais que je pourrais le vivre. J’aimais me dire: « Ce bouquin que je suis en train de lire, en fait il parle de moi. » J’étais particulièrement touché quand l’identification était plus naturelle. Aussi, quand vous lisez un livre que vous auriez aimé écrire – même si cela, je n’y pensais pas quand j’étais très jeune… cela fait resurgir vos souvenirs, vos émotions, et on se dit : « En fait, c’est moi. » De toute façon, le livre, c’est 50 % l’écrivain et 50% le lecteur. C’est une affaire de rencontre. Je me suis aperçu, à force de rencontrer les lecteurs des différents tomes de Mon combat, qu’il se passait quelque chose avec ces livres pour nombre d’entre eux. En plongeant dans mon histoire, ils se mettent naturellement à penser à leur
vie, à leur quotidien. Il est facile de se dire: « Karl Ove Knausgaard, c’est moi » (rires)! Quand on a 16 ou 17 ans, qu’importe que vous soyez une fille ou un garçon, que vous viviez en banlieue parisienne ou au fin fond de la forêt norvégienne. Malgré les différences sociétales, les désirs des individus ne varient guère.
Le « vrai » que vous évoquez est aussi une affaire de style. Comment avez-vous trouvé l’écriture adéquate? Et avez-vous beaucoup évolué au fil des tomes?
Au début, bien sûr, je me suis demandé quel devait être le ton juste. J’ai d’abord eu la tentation de la belle phrase. Mais cela ne fonctionnait pas. Je suis alors allé vers quelque chose de plus instantané, de plus direct. Je devais surtout ne pas être tenté de « faire du style »…
Ironie du sort, on vous surnomme souvent le « Proust norvégien »…
Cette comparaison est bien entendu flatteuse, mais elle s’avère surtout très gênante car les livres de Marcel Proust – comme ceux de Louis- Ferdinand Céline ou de Gustave Flaubert – comptent parmi les plus beaux jamais écrits ! J’ai eu un plaisir intense à les lire, à me délecter de son projet si complexe, si riche, et de son écriture si élégante… Modestement, mes livres sont plus directs, moins sophistiqués et moins ambitieux.
Les titres français des trois premiers tomes (La Mort d’un père, Un Homme amoureux et Jeune homme) ont en commun d’évoquer un individu masculin. Cherchez-vous, à travers ces différents volets, à vous interroger sur la virilité? Et casser les clichés sur ce qui signifie « être un homme » ?
Comme je vous le disais, je n’avais pas d’objectif précis au départ. Pas de destination. J’étais un voyageur seul sur la mer qui navigue sans direction. Oui, je voulais écrire sur moi-même et j’étais toutefois conscient que cela posait plus généralement la question de l’identité. Et celle de ma relation à la virilité, à l’identité masculine, dès mon plus jeune âge. Gamin, j’adorais cueillir des fleurs, lire, parler avec les filles – ça s’est compliqué, plus tard (rires). Je pleurais aussi assez facilement. En fin de compte, j’étais un petit garçon très féminin, selon les critères traditionnels de la société dont on est, forcément, le produit. Qu’on le veuille ou non. Dans Mon combat, je me demande en effet ce que cela signifie d’être un garçon, un homme, un fils ou un père, dans une société qui donne sa propre définition de ces critères, ses référents. Dans un monde, au fond, très masculin. Pour autant, je crois qu’il ne faut pas en tirer de généralités. Je ne parle que de moi, et sur moi. J’essaie juste d’être le plus honnête possible avec la réalité des faits que je retranscris.
Sur quels projets avez- vous travaillé après Mon combat?
J’ai fait différentes choses. Récemment, j’ai écrit quatre livres – un pour chaque saison. Mais ça n’a rien à voir avec Vivaldi ! Il ne s’agit pas vraiment de romans – même si l’un d’eux s’apparente un peu à ce genre. J’ai été particulièrement marqué par les écrits de Francis Ponge et, notamment, Le Parti pris des choses. J’avais cet ouvrage, et je l’avais souligné à toutes les pages et mis des annotations. Et j’ai décidé, comme ce grand poète, d’écrire sur les choses et les objets. C’est, je crois, une façon intéressante de parler du monde. J’aimerais vraiment, au vu de son origine, que ce projet littéraire soit traduit en France.
J’essaie juste d’être le plus honnête possible avec la réalité des faits que je retranscris
Aujourd’hui, vous avez de véritables groupies. On a alors du mal à imaginer – comme vous le montrez dans Aux confins
du monde – que vous n’étiez pas un playboy, à l’adolescence…
Oh, j’en étais loin… Je n’avais que très peu d’assurance avec la gent féminine. Il m’était impossible d’aller voir une fille quand elle me plaisait. C’était pathologique. Je pouvais tomber amoureux et ne jamais aller parler à celle qui m’attirait. J’avais peur de m’approcher, peur du contact. Aux confins du monde parle de cela : de l’impossibilité à connaître l’expérience sexuelle, aussi bien au sens strict – coucher avec une fille – qu’au sens plus général – à savoir connaître le sexe opposé.
En Norvège, on peut vraiment devenir prof de collège à l’âge de 18 ans?
Dans des villes comme Oslo ou à Bergen, c’est bien entendu inenvisageable. Mais dans le reste du pays, il y a un manque cruel d’enseignants, en particulier dans les petits villages, où il fait particulièrement froid et où la nature se montre assez hostile. Il est alors possible de donner des cours, de travailler ainsi, alors qu’on est encore très jeune et qu’on n’a pas forcément beaucoup de diplômes. Certaines personnes du sud de la Norvège font ce choix. Enfin, je crois que c’est plus difficile, aujourd’hui… On n’a pas le statut d’enseignant, mais on fait le job.
Vous montrez aussi que, dans ces conditions, les relations avec vos jeunes élèves – en particulier les filles – sont compliquées, ambivalentes…
C’est très difficile quand on est un prof, évidemment débutant, de 18 ans et qu’on se retrouve face à des élèves de 16 ans. Dans ma classe, les filles avaient 13 ans, mais sortaient déjà avec des garçons de 20 ans. J’étais donc particulièrement troublé par cette situation, accentuée par le fait que je me trouvais dans un tout petit monde… Je ne vous cache pas que ça a été très difficile d’écrire sur le sujet (rires)… Cette situation n’en était pas moins intéressante, parce qu’elle mêlait plein d’émotions, de sentiments très variés. Certains relèvent de l’interdit, d’autres pas. Mon premier roman, publié en 1996 – donc bien avant Mon combat –, évoquait cette question. Je décrivais la liaison, dans une bourgade côtière, entre un enseignant de 26 ans et une adolescente de 13 ans. Je pensais qu’avec cette histoire à la Lolita, j’allais faire scandale car j’affrontais un tabou. Or, rien ne s’est passé, les gens ont même trouvé que c’était une belle histoire d’amour. J’ai d’ailleurs reçu le Prix de la critique. Mais, bon, c’était en 1996, et les choses ont bien changé, nos regards ne sont bien sûr plus les mêmes. Aux confins du monde est, d’une certaine manière, une réécriture de ce premier roman…
La musique est également quelque chose qui compte beaucoup, à l’adolescence, comme vous le montrez dans ce livre…
J’étais déjà critique rock quand j’avais 16 ans ! Et, plus tard, j’ai écrit sur la musique dans les journaux pendant très longtemps. La musique est absolument essentielle pour moi. Elle est même vitale. Hélas, je n’ai pas de talent de musicien… Quand des stars du rock venaient dans ma ville, j’allais les interviewer, et il m’arrivait même parfois de les mettre en colère (rires). J’ai par ailleurs lu beaucoup d’articles et de livres de critique rock. C’est une véritable littérature. J’ai dès lors baigné un peu dans cet univers… Pour au- tant, je ne crois pas que cette voie m’ait amené vers l’écriture. Car, déjà, je voulais coûte que coûte devenir écrivain.
D’ailleurs, le titre anglais d’Aux confins
du monde est Dancing in the Dark, en référence à une fameuse chanson de Bruce Springsteen…
Là, je n’y suis pour rien (rires)…
Etiez-vous vraiment alcoolique à l’âge de 18 ans?
Mon âge au moment où je vivais les faits décrits dans Aux confins du monde était celui de toutes les expériences, d’une certaine liberté. C’étaient vraiment les années de ma vie où je pouvais prendre des cuites monumentales, sans conséquence ou presque. Maintenant, je suis père de quatre enfants, j’ai une certaine « dignité » ( rires)… Je fais attention, désormais, même si je ne crache pas sur un bon verre de vin ou une bière bien fraîche…
Vous vous trouvez souvent en situation de « trous noirs ». La littérature ne serait-elle pas le moyen de lutter contre ceux-ci?
Je buvais pour m’extraire de moi-même. Mais, par voie de conséquence, en cas d’abus, on arrive jusqu’au « trou noir ». On est vraiment hors de son corps, hors de sa raison. D’une certaine façon, la littérature, c’est la même chose : sortir de soi le plus possible. Paradoxalement, quand je me trouve à aimer certains passages de mes livres, je constate que je ne me souviens pas du moment où je les ai écrits. C’est une autre forme de trou noir.
Pourquoi avoir terminé Aux confins du monde par une scène de sexe aussi triviale? Et de conclure, très brutalement : « Elle gémit, puis un autre spasme la prit, et là devant son énorme postérieur, je ne pus résister, posant mes mains sur ses jambons, je l’embrochai et me remis à pomper » ?
Cela faisait sens, au vu du projet du livre. Au fond, ce texte, c’est l’histoire d’un garçon qui veut absolument avoir des relations sexuelles. On sait que ça finira bien par arriver (rires)… C’est une sorte de happy end – même si je suis un ennemi de ce procédé, à vrai dire. Mais qui confère une étrangeté au livre, car il s’arrête de manière très soudaine. J’essaie de montrer ce que tout le monde veut cacher. Tout en vous laissant imaginer la suite… Propos recueillis par Baptiste Liger Photos: S. Lacombe/Picture Tank pour