Libérée, délivrée
En se saisissant d’un destin américain, au centre d’un enlèvement retentissant des années 1970, l’auteur continue d’interroger des figures de femmes dont la mémoire hante notre époque.
Fidèle au titre de son premier roman (Une fièvre impossible à négocier), Lola Lafon confirme qu’elle a de la suite dans les idées. Succès public et critique, La Petite Communiste qui ne souriait jamais – évocation romanesque de la vie de la gymnaste Nadia Comaneci – se lisait aussi comme une contre-histoire féministe du bloc de l’Est. Mercy, Mary, Patty prend racine dans un fait divers marquant : l’enlèvement, le 4 février 1974, de Patricia Hearst, petite-fille d’un magnat de la presse californien – qui inspira à Orson Welles le héros de Citizen Kane. La rançon exigée par les ravisseurs de l’ALS (Armée de libération symbionaise, éphémère groupuscule d’extrême gauche américain) était inédite : la famille Hearst devait verser pour 70 dollars de nourriture à chaque indigent de la côte Est ! Plus ahurissant encore, la détenue épousa leur cause – le fameux syndrome de Stockholm. Arrêtée au bout de deux mois, elle fut graciée par Jimmy Carter et est devenue actrice.
Mercy, Mary, Patty imagine deux femmes qui, sur instruction de la famille Hearst, vont étudier le dossier avant le procès (octobre 1975) : Gene Nevada, universitaire américaine de passage en France, et son assistante, Violaine. Par leur scrupuleux défrichage – notamment les bandes audio envoyées par l’otage –, le roman offre une description minutieuse des faits. Mais, jouant des modes narratifs comme elle l’a toujours fait, Lola Lafon offre également une lecture contemporaine de l’affaire. « L’enlè - vement de Patricia Hearst ressemble à une aventure, une évasion », dit l’un des personnages de cette histoire, qui met sa propre figure centrale en écho avec une Amérique qui venait à peine de tourner les pages du Viêt Nam et de Nixon. Avec une jeunesse vampirisée par les démons du pays autant que ses mythologies. Une Amérique qui était et demeure un écho à celle de Mercy et de Mary, deux femmes fortes qui s’étaient des siècles avant Patty (Hearst) affranchies… grâce à leurs ravisseurs. Qui a dit que la littérature n’était pas une caisse de résonance ?