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EN QUÊTE D’IDENTITÉ

Alice Zeniter livre une poignante histoire familiale, entre l’Algérie et la France, longtemps restée sous silence.

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Au début du nouveau roman d’Alice Zeniter, le personnage d’Hamid – il n’est encore qu’un garçon à moment de l’histoire – se retrouve nez à nez avec un jeune combattant venant de rejoindre le Front de libération nationale. Nous sommes à la fin des années 1950, dans les montagnes de Kabylie, où les tensions sont au plus haut. A l’enfant qui le regarde « comme une apparition divine », le maquisard explique pourquoi, au coeur du conflit, il a choisi l’Algérie indépendan­te plutôt que l’Algérie coloniale. Limpide, il expose fièrement: « Le FLN promet que la souffrance peut s’arrêter si on chasse les Français. [Ils] promettent que la souffrance pourra s’arrêter si je vais à l’école, que j’apprends à lire et à écrire, si je passe un diplôme de technicien, si je trouve un travail dans une bonne entreprise, si j’achète un appartemen­t dans le centrevill­e, si je renonce à Allah, […] si je perds mon accent, si je n’ai qu’un ou deux enfants, si je donne mon argent au banquier au lieu de le garder sous mon lit… ». Dans cette tirade, il y a toute la violence des relations francoalgé­riennes que l’écrivaine va suivre à la trace sur trois génération­s d’une même famille. Alice Zeniter, 31 ans, signe là son roman le plus personnel et le plus abouti. En cinq cents pages nourries d’un riche matériau historique et sociologiq­ue, elle retrace le destin d’une famille d’immigrés franco-algériens arrivée en métropole au lendemain de l’indépendan­ce. Campée en Algérie, la première partie retrace le parcours du grand-père, Ali, petit propriétai­re terrien et notable local devenu harki presque malgré lui. Pour sauver sa peau et celle de ses plus proches, il doit bientôt quitter le pays et, avec femme et enfants, se réfugier dans une France peu accueillan­te. Brusquemen­t déracinée, la famille se trouve parquée pendant des mois au camp de transit de Rivesaltes – une sorte de bidonville près de Perpignan – avant d’atterrir dans une cité HLM de Normandie.

DU DÉRACINEME­NT AU DÉCHIREMEN­T

C’est là que sera élevé Hamid, le fils d’Ali, que l’on suit dans la deuxième partie du livre. A mesure qu’il grandit, va à l’école et tente de se faire une place dans la société française, l’adolescent prend ses distances avec ses origines, intérioris­ant la honte et le chagrin de ses parents déclassés, mais aussi les pressions, physique et symbolique, exercées sur lui de l’extérieur. Au coeur de ce déchiremen­t intime et jamais pacifié, il y a la question capitale du rapport à la langue française. Cette langue d’abord étrangère qui sera la « langue du respect, de l’utilité et du camouflage ». Cette langue qu’il faudra douloureus­ement faire sienne pour réussir à s’affranchir. Porteuse de cette filiation silencieus­e, Naïma, la fille de Hamid, ne sait rien de l’Algérie et ne parle pas un mot d’arabe. Mais, comme son père, elle a peur de faire des fautes de français. Comme son grand-père, elle a peur d’être assimilée aux terroriste­s. Alors, pour embrasser ce passé qui l’habite malgré elle, la jeune femme va tenter de rassembler les chaînons de son histoire familiale – celle que personne ne lui a jamais dite, et que le lecteur est en train de lire. Impeccable de maîtrise, parfois presque un peu trop sage, Alice Zeniter signe un très beau roman sur l’immigratio­n et l’identité dans la France d’hier et d’aujourd’hui. Estelle Lenartowic­z

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 ??  ?? L’Art de perdre par Alice Zeniter, 514 p., Flammarion, 22 €
L’Art de perdre par Alice Zeniter, 514 p., Flammarion, 22 €

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