Un « Christ bolchevik »
L’auteur nous invite à suivre les méandres de son enquête sur la vie, nimbée de mystères, d’un obscur espion soviétique.
Certaines malles deviennent parfois bavardes. A l’occasion d’un déménagement, les yeux de Christian Salmon sont attirés par l’une d’entre d’elles. Son couvercle porte une curieuse inscription: « BL KIN JET 79 ». En l’ouvrant, l’écrivain chercheur redécouvre un trésor qu’il a lui- même constitué autrefois : des livres et des notes sur Iakov Blumkine, agent de la Tcheka, le premier nom de la police politique soviétique. L’auteur explique que, dans les années 1980, il eut pour projet de raconter son itinéraire avant de finalement renoncer.
Nul ne saurait lui reprocher cette tentative d’abord avortée mais qui vient donc d’être menée à son terme. Les faits sur celui qu’on surnommait Jivoï, le Lama ou encore Sultan Zade s’accumulent difficilement. Le flou s’installe vite le concernant. Et cela commence dès les premières lignes de sa biographie. Blumkine est-il vraiment né le 8 octobre 1900? A Odessa? A force de s’interroger, certains remettront même en cause son existence. Ils vont devoir déchanter. C’est bien lui qui, peu de temps avant la fin de la Première Guerre mondiale, assassine l’ambassadeur d’Allemagne en Union soviétique avant de prendre la fuite. Cherchant à y édifier une République socialiste, il officie un temps dans le nord de la Perse avant de repartir pour la Russie. Ensuite, ce sera la Mongolie. Plus tard, on le retrouvera sous d’autres latitudes. Tout dépend du contexte politique de l’époque et des missions.
L’accumulation de voyages impressionne mais elle s’explique. Chaque fois, l’espion s’extirpe de situations invraisemblables. D’où cette incrédulité qui finit par s’emparer du lecteur. Et si cet homme était tout de même bien un personnage de fiction? Parti sur les traces de Iakov Blumkine, l’auteur fait vivre le lecteur au rythme de son enquête. Ses questions, ses doutes, les difficultés auxquelles il se heurte mais aussi ses découvertes constituent le moteur même du livre, qui ne connaît aucune baisse de régime. C’est aussi à cela qu’on mesure l’envergure narrative d’un fin limier.
William Irigoyen