Thiellement proche
Pacôme THIELLEMENT Connu pour ses écrits théoriques sur les séries TV, ce penseur inclassable propose aujourd’hui une réhabilitation des textes gnostiques. Portrait d’un essayiste singulier doublé d’un amoureux de BD.
Il est barbu. C’est la première chose que l’on remarque lorsque l’on aperçoit Pacôme Thiellement – avec ses cheveux longs, souvent recouverts d’un chapeau. Le look de rock star pour hipsters parisiens n’est probablement pas pour rien dans sa notoriété dans les tribunes branchées, où son nom est souvent cité en référence dès qu’il est question de l’analyse de la culture « pop » – en particulier sur les séries TV (au sujet desquelles il a des développements aussi étonnants que pertinents). On aurait tendance à réduire ce garçon à une sorte de « caution intello » pour plaisirs (pas si) coupables, un peu folklorique mais qu’au fond on ne prend pas forcément au sérieux dans ses théories. Pacôme Thiellement mérite pourtant beaucoup mieux, mieux que ce regard, et c’est justement son parcours très atypique qui le rend plus passionnant que bien des penseurs au profil plus rigoureux. Luimême, d’ailleurs, ne se considère pas comme philosophe.
UNE RICHESSE ÉCLECTIQUE
« J’écris des essais : pour moi, c’est un travail intermédiaire entre la littérature et la philosophie », précise-t-il. « Mon “maître” en la matière est Montaigne, et, plus proche de nous, Walter Benjamin. La forme est aussi importante que le fond. Et la construction n’est pas une coquetterie. Comme dans un récit, l’important n’est pas seulement le point d’arrivée, mais le chemin pour y aller. Et là, tout compte: l’humour, la poésie, la fantaisie, la dramatisation, la surprise, les renversements, etc. » Son goût pour la lecture est d’ailleurs venu par la bande dessinée, qui a forgé sa sensibilité et sa manière de réfléchir. Il cite ainsi volon- tiers J.C. Menu, Placid, Muzo, Olivia Clavel, Kiki Picasso ou Captain Cavern. « Ils sont mes modèles, comme les écrivains et journalistes d’un esprit “mauvais genre” commun, tels François Angelier et JeanPierre Dionnet. »
D’ailleurs, c’est une autre voie que devait prendre cet iconoclaste. Son DEUG de lettres en poche, il a enchaîné avec une école de cinéma, qui l’amène à devenir monteur. Mais l’écriture le titillait dès ses 16-17 ans. Il rédige alors des scénarios, des pièces de théâtre ou des projets de romans qui n’aboutissent à rien de concret. Il aura fallu une rencontre avec Bastien Gallet, qui lançait une maison d’édition, pour que notre homme signe son premier ouvrage (si l’on excepte une petite fiction) – un improbable essai sur le mythe de la mort de… Paul McCartney! –, paru en 2002. « Ensuite, la passion de l’essai ne m’a plus quitté. Je me suis rendu compte que tout ce que j’avais envie de faire – dramatisation proche de la fiction, moments contemplatifs ou poétiques suivis de moments comiques –, je pouvais le faire dans le cadre d’un essai. » S’il s’est bien sûr nourri de Nietzsche, Deleuze, Baudrillard et Spinoza, il s’est tourné en 2008 vers d’autres doctrines : la métaphysique indienne tout d’abord ( « Je relis la Bhagavad-Gita sept à huit fois par an! ») et la philosophie islamique (« surtout soufie ou ishraqiyun »), ainsi que la kabbale ou les grands penseurs hermétiques de la Renaissance (Marsile Ficin, Pic de la Mirandole). « Mais le penseur que j’ai le plus lu et relu et qui m’influence le plus est Simone Weil. »
UNE SOCIÉTÉ DE SOLITAIRES
Ce cocktail d’influences est d’ailleurs au coeur du nouvel ouvrage, aussi déroutant que fascinant, de Pacôme Thiellement : La Victoire des sans roi. Une réflexion à partir de quarante-quatre textes gnostiques, retrouvés à Nag Hammadi en 1945, afin d’évoquer la chute de la civilisation occidentale. « Tous ces écrits nous apprennent à faire de la solitude une clé pour ouvrir nos coeurs et à faire de nous une “société de solitaires” », propose-t-il. « Et je pense que les gnostiques seront de plus en plus présents à mesure que nous avancerons dans la période très bizarre que nous traversons. Ils le sont déjà par les citations nombreuses de leurs textes dans les séries télévisées et dans l’univers de la pop. La question est de réapprendre à vivre à l’aune de leur vision. » Et l’avenir serait-il celui des « sans roi », comme les appelait Jésus ? « Ils ressemblent aux hommes d’aujourd’hui : antiautoritaires, anti- hiérarchiques, antimisogynes, anti-sexophobes, végétariens. Ils nous prouvent que le passé n’excuse pas tout et qu’il y a eu des hommes “comme ça” à toutes les époques. Le livre veut d’abord leur rendre justice, montrer que ce que nous reconnaissons comme les éléments les plus beaux des mouvements de la jeunesse des années 1960 sont des redécouvertes de cet esprit. » Et qu’ils sont, en réalité, plus présents que jamais. Baptiste Liger