Envoyés spatiaux
Plusieurs ouvrages paraissant cet automne nous donnent rendez-vous dans les étoiles. Un ailleurs pour mieux retrouver son humanité?
Souvenez-vous du célèbre slogan publicitaire d’Alien: « Dans l’espace, personne ne vous entend crier » . Aussi, dans ces circonstances, mieux vaut- il passer par l’écrit, comme le montrent plusieurs auteurs présents en librairies cet automne, nous offrant de revigorantes réflexions sur cet infiniment grand qui nous dépasse.
Quel que soit le genre qu’il aborde, le philosophe et romancier Vincent Delecroix aime allier gravité et légèreté. C’est une nouvelle fois le cas pour son dernier roman, Ascension (Gallimard). Ici, l’aréopage commandé par Harold Pointdexter s’apprête à décoller pour une ultime mission sur la station spatiale internationale. Dans la fusée, on trouvera un Américain protestant, un Russe orthodoxe, un Mexicain catholique, une femme énigmatique et un Français, juif athée et écrivain. Dans la première partie du roman (l’entraînement et l’envol), il est l’intrus. Dans la seconde moitié (le retour sur Terre), l’équipage fantasque est devenu une communauté d’angoissés, d’exaltés. On déclame de la littérature russe, on drague la seule femme à bord et on disserte sur… la religion. Car dans le Très-Haut, la mission a embarqué un passager clandestin, mais prestigieux… LA TÊTE DANS LES ÉTOILES
Hasard de l’édition, « Ascension » est également le titre de la première partie d’Un astronaute en Bohème (Calmann-Lévy), premier roman de l’Américain d’origine tchèque Jaroslav Kalfar. Le narrateur, Jakub Prochazka, est désigné, en ce printemps 2018, pour une mission solitaire de huit mois dans l’espace, mais l’élan de notre homme se brise au bout de treize semaines. Il apprend en effet que sa femme le quitte. La tête dans les étoiles, Jakub revisite alors son histoire et celle de son pays. Et, comme chez Vincent Delecroix, apparaît un passager clandestin (décidément…). Objet littéraire hybride et loufoque, ce roman à la fois psychologique et philosophique nous propose une approche politique de l’espace. NOUVELLES FRONTIÈRES
Trois fois lauréat du prix Nebula (saluant outre-Atlantique le roman le plus « novateur » du genre), Kim Stanley Robinson fut ainsi récemment distingué pour l’excellent 2312 (Actes Sud). L’Américain y poursuit son travail sur les nouvelles frontières issues de la « colonisation spatiale » . Son intrigue développe à l’échelle de ce méta-monde futuriste les enjeux de notre planète: guerres nationalistes sur fond de perpétuels changements climatiques, vieux systèmes capitalistes sur Terre et modèles utopiques sur Saturne ou Jupiter, le tout avec des hommes qui vivent plusieurs siècles depuis qu’ils résistent aux radiations.
Enfin, la fiction n’empêche pas un rappel du réel et on aura ainsi plaisir à découvrir le récit de la mission de l’astronaute Thomas Pesquet dans l’espace. Il a en effet confié son expérience – et ses sept années de préparation – à Reporters sans frontière. C’est ainsi qu’on peut se délecter des images, prises en apesanteur, et de ses commentaires, réunis dans le volume annuel des 100 photos pour la liberté de la presse (RSF). Le prétendu lointain n’a peut-être jamais été si proche.
Hubert Artus