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Jehan Rictus, Gaston Couté, Les Poètes populaires. Lu par Daniel Mesguich, Frémeaux & Associés, 3 CD

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Si notre prison est sans fenêtre, notre destin sans issue, toutefois demeure la possibilit­é de les chanter jusqu’à l’ivresse. Avec Les Soliloques du pauvre et Le Coeur populaire de Jehan Rictus (18671933) lus par Daniel Mesguich*, c’est l’expérience de la subordinat­ion de la misère à la beauté d’un chant qui nous est offerte. On connaît l’immense talent de l’acteur. On sait que le poète fascina Céline et Queneau, que Mallarmé trouva « géniale » sa réinventio­n de la langue loin des « mots de la tribu » . Avec cet enregistre­ment, on découvre ce qu’une lecture peut avoir de proprement inouï. D’autres acteurs (et pas des moindres), des chanteurs également se sont lancés dans la récitation de ces poèmes. La Maison de la poésie invita même un rappeur qui s’en était emparé.

Seul Daniel Mesguich pouvait délivrer le verbe et le rythme de Jehan Rictus de la légende que les autres se plaisent à entretenir dans leur interpréta­tion. Bien sûr le poète eut une enfance difficile, connut la faim et le froid, fréquenta le Montmartre des artistes, des vagabonds, des anarchiste­s, récitant ses poèmes dans les cabarets, les bistrots ou les guinguette­s. Attentif à la condition des miséreux et, dans cette misère, à la saveur et à la violence de leur langue, il fut certes un poète révolté. Un poète populaire, si l’on veut. Mais d’abord et avant tout un grand poète.

Stravinski avait souhaité que son concerto pour violon « pue » le violon. Jehan Rictus veut que son verbe « pue » l’invention verbale, que ses mots ne cessent de rouler sous le chahut de sa syntaxe comme les galets sous le ressac de la vague. Oublions ceux qui voudraient se donner le beau rôle en annexant ce chant de misère à je ne sais quelle utopie ; ou ceux qui se plairaient à rappeler, croyant ainsi le discrédite­r, que le poète reçut la Légion d’honneur d’un futur Secrétaire perpétuel de l’Académie française. Oublionsle­s et apprenons de cette lecture magistrale que Jehan Rictus n’écrivit ni pour le peuple ni pour la bourgeoisi­e mais pour ceux qui, comme Mallarmé, seraient ses semblables, ses frères dans l’ordre de la poésie. A l’image du méconnu Gaston Couté, également à l’honneur dans ce CD. * Dont on vous recommande le recueil Estuaires, paru en mai dernier (Gallimard).

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Jehan Rictus.
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