Rigueur historique ou réel factice?
Sensation en librairies, le roman d’Olivier Guez sur la fuite du fameux dignitaire nazi divise la rédaction.
BRILLANT.
Olivier Guez revient sur la question centrale de son travail : comment le trou noir du nazisme a « anéanti un continent cosmopolite et cultivé, l’Europe » . Il retrace ainsi la fuite de Josef Mengele, « l’ange de la mort » d’Auschwitz qui a échappé à la justice des hommes. Quarante ans de cavale (1949-1979) en deux temps : d’abord, une vie de pacha à Buenos Aires, « devenue la capitale des rebuts de l’ordre noir déchu » , où il se reconstruit parmi d’anciens dignitaires du Reich protégés par la dictature de Perón.
Puis, après la capture d’Eichmann en Argentine, une vie de rat, où il est traqué par les chasseurs de nazis au Paraguay et au Brésil, engoncé dans son fanatisme nostalgique, perdu dans ses fausses identités, jusqu’à sa mort comme une fin de race. La narration au présent donne des atours de brillant roman d’espionnage à La Disparition de Josef Mengele qui, soutenu par sa rigueur historique, pointe les ambiguïtés occidentales de l’après-guerre. Mais nous sommes ici en littérature, et le devoir de mémoire est porté par une intensité lyrique lui conférant un sens et une morale. Puisque les hommes n’ont pu juger Mengele, Olivier Guez fait mieux : il finit par lui serrer la corde autour du cou. Hubert Artus
ANECDOTIQUE.
Auteur de remarquables enquêtes sur l’Allemagne contemporaine en proie à son passé nazi, Olivier Guez n’ignore rien de l’abondante littérature historique que cette période a suscitée. Il a donc tout entre ses mains pour en évoquer l’une des plus sinistres figures, celle du docteur Josef Mengele, le fuyard veule qui, trouvant refuge et complicité en Amérique du Sud, échappe au juste châtiment qu’il méritait.
D’où vient alors que ce choix, non d’écrire une « histoire » de cette cavale mais d’en proposer une restitution fictive, provoque un tel sentiment de malaise ? L’arbitraire des pensées et des propos prêtés au personnage peut expliquer, en partie, cette désagréable impression. Une phrase telle que « “Si seulement il me voyait ramoner sa femme”, grimace-t-il en sautant du lit », au-delà de sa vulgarité, n’a qu’un effet de réel factice. Mais, plus largement, la grande littérature démontre qu’on s’approche de la réalité d’un personnage et de la vérité d’une époque, non pas en romançant le réel mais en créant des figures qui l’incarnent. La confession du SS Maximilien Aue des Bienveillantes sert au plus près la « vérité » de l’abomination nazie. Les tempêtes imaginées sous le crâne d’un Mendele en cavale sont anecdotiques. Marc Riglet