Anne et Claire Berest « Quelque chose de l’ordre de la démesure »
Théoricienne de l’art visionnaire, femme de Francis Picabia, maîtresse de Marcel Duchamp, amie
intime de Guillaume Apollinaire » , Gabriële Buffet (1881-1985) marqua l’Histoire culturelle de son empreinte. Mais dans la famille d’Anne et Claire Berest, elle a toujours été maintenue dans l’ombre. Jusqu’au jour où les deux soeurs apprirent qu’elles étaient les arrière-petites-filles de cette grande dame. En écrivant Gabriële, elles ont forcé des portes que leur propre mère avait gardées closes. Les deux romancières ont alors imaginé un ouvrage alternant la biographie de leur aïeule et le « making of » de leur collaboration littéraire. Retour sur une gestation… plurielle.
L’idée de Gabriële est-elle le fruit d’une envie commune, ou bien d’un désir de l’une qui a su convaincre l’autre? >
Anne Berest. Depuis très longtemps, nous avions envie d’écrire ensemble. Et ce sujet est apparu comme pouvant nous réunir.
Claire Berest. La première à avoir dit « c’est Gabriële qui est là, qui est en nous » , c’est toi, Anne. Il ya à peu près quatre ans. Et tu m’as dit « il faut qu’on écrive sur Gabriële Buffet » . On ne savait tellement rien sur elle que cette collaboration s’est imposée comme un mystère. Comment cette personne, volontairement oubliée de l’histoire familiale, estelle ensuite devenue votre sujet littéraire?
A.B. Chez nous, ce sujet était un peu secret. Mais je me souviens qu’il y avait chez nos parents, au milieu d’une grande bibliothèque, un endroit un peu caché dans lequel il y avait quelques ouvrages sur Francis Picabia. Ce coin m’attirait, j’y allais souvent pour lire en cachette. J’ai donc toujours été attirée par cette histoire, presque de façon inconsciente.
C.B. C’était encore plus flou pour moi. J’ai l’impression que toi, petite fille ou ado, tu te montrais bien plus curieuse que moi. J’étais pour ma part plus confrontée au tabou. Cette expérience d’écriture à quatre mains a-t-elle changé votre manière d’envisager un livre?
C.B. Travailler dans une telle symbiose m’a énormément appris. C’était tant de travail que lors des découragements de l’une, l’autre reprenait le flambeau. Je n’imaginais plus les personnages et les atmosphères de la même façon, après être passée par « l’école Anne Berest » ! C’est quelque chose de l’ordre de la démesure ce livre…
A.B. Ce qui est intéressant dans le travail en commun, c’est que l’autre tend toujours un miroir, notamment le miroir grossissant les défauts. Et ça, d’ordinaire, on ne l’a pas quand on écrit seul. Propos recueillis par
Hubert Artus