La Vie secrète des arbres, les racines d’un succès ..........................................
Comment l’ouvrage d’un forestier allemand inconnu est-il devenu un bestseller mondial? Retour sur une aventure éditoriale hors norme.
C’est l’histoire d’un succès que personne – ou presque – n’a vu venir. Voilà des mois qu’il truste les sommets du palmarès des ventes et ne semble pas prêt à redescendre. Ecoulé à 650 000 exemplaires en Allemagne et déjà à plus de 230000 exemplaires en France, La Vie secrète des arbres est, selon ses éditeurs, « un livre magique » . L’auteur, Peter Wohlleben, hier inconnu du grand public, est devenu le forestier le plus célèbre de la planète. L’exploit de ce sympathique barbu de 51 ans et de deux mètres de haut : avoir démocratisé les connaissances scientifiques sur les forêts et montré, dans une langue très imagée et chaleureuse, que nos amis feuillus sont des êtres sociaux qui communiquent, apprennent, souffrent et s’entraident. Un sujet fédérateur et inattendu qui n’avait jamais été abordé de manière aussi documentée qu’accessible.
UN JOLI COUP
En France, l’histoire prend racine fin 2015, lorsque Laurent Beccaria, fondateur de la maison d’édition Les Arènes, repère Das geheime Leben der Bäume dans la liste des meilleures ventes de l’hebdomadaire allemand Der Spiegel. A l’époque, l’éditeur parisien cherche à développer son catalogue « nature », et planche sur un projet de réédition d’une autre « vie secrète » : La Vie secrète des plantes, essai scien tifique sur la conscience végétale, épuisé après sa sortie en 1975. « Lorsque j’ai vu La Vie secrète des arbres dans ce palmarès, j’ai tout de suite été intrigué ! » , se souvient-il. Flairant le joli coup, il traverse le Rhin afin de rencontrer les artisans de ce qui n’était encore qu’un beau succès. « Nous avons demandé à nos confrères comment ils en avaient fait la promotion. Ils nous ont répondu n’avoir rien fait d’autre que de le mettre en librairie ! » Déjà auteur de plusieurs livres pratiques sur la forêt, Peter Wohlleben ne s’était jamais adressé au grand public. Mais le jour où il a l’idée d’adopter la forme universelle du conte, le destin de ce passionné de sylviculture éco-responsable va être bouleversé.
L’ÉDITION FRANÇAISE
Convaincu du potentiel de son Robin des bois allemand, Laurent Beccaria acquiert les droits français de l’ouvrage. « Sans négociations ni l’ombre d’une enchère, précise t-il. Seuls sur le coup, nous avons payé une somme tout à fait raisonnable. » Une bagatelle de « quelques milliers d’euros » – sans chèque en bois – pour une future mine d’or? Car entre-temps, les ventes allemandes explosent, et le livre, paru outre-Atlantique, a commencé sa carrière internationale. « Notre crainte était que le succès soit d’abord lié à la relation particulière que les Allemands entretiennent avec la forêt. Voyant la version américaine grimper, nous avons commencé à y croire. »
Le choix de la couverture a aussi joué un rôle primordial. « Les Américains avaient opté pour une couverture naturaliste et épurée, avec un arbre stylisé et la préface d’un botaniste. Nous sommes allés vers quelque chose de beaucoup plus mystérieux : l’image d’une forêt enchantée, quasi-merveilleuse, qui rappelle les Landes et la forêt de Brocé - liande » . Accrocheuse, elle renoue avec un imaginaire dont beaucoup se sentent proches. La ballade en forêt ne figuret-elle pas parmi les loisirs préférés des Français? Puisque rien ne sert de courir, la sortie est programmée à la mi-mars 2017, dans ce moment de grande frilosité éditoriale qu’est la campagne présidentielle. « Nous avons sans doute bénéficié d’une absence de concurrence, ou en tout cas, d’une concurrence moins forte » , avance Laurent Beccaria. Résultat : aidé par un intense travail de prospection et trois campagnes d’affichage, Peter Wohlleben se hisse en tête des ventes dès le début du printemps.
ET CE N’EST PAS FINI…
Fourmillant de leçons d’empathie et de vivre-ensemble, La Vie secrète des arbres est surtout un épatant ouvrage de vulgarisation scientifique. « On apprend beaucoup et sans effort » , résume son éditeur. Parfois critiqué pour son excès d’anthropomorphisme (on y croise des « enfants-arbres » et des « arbres amoureux » ) , il répond à notre besoin de renouer avec le temps long dans une société ultra-rapide et hyper-connectée.
Fortes de ce pari réussi, les éditions des Arènes ont, dans la foulée, racheté la quasi- totalité des titres de leur Bavarois préféré. D’ici les fêtes de fin d’année, trois autres livres forestiers paraîtront : un guide pratique ( La Vie au coeur de la forêt), une édition illustrée du best-seller et, courant décembre, l’essai d’un confrère allemand consacré aux champignons. Pour s’assurer une place sous le sapin, Peter devra aussi compter avec une ribambelle de nouvelles publications concurrentes, inspirées de son succès… Derrière l’arbre se cache toujours une forêt… Estelle Lenartowicz