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Extrait: Essai sur le fou de champignon­s par Peter Handke .....................................................

Peter HANDKE

- Baptiste Liger

LE LIVRE Les chasses au trésor prennent parfois des formes très surprenant­es. On s’en apercevra en se délectant du nouvel essai de Peter Handke, aussi incongru qu’ex

quis. « Les champignon­s, comme “ultime aventure” ?» C’est en tout cas l’avis d’un ami proche de l’auteur autrichien, héros de ce texte inclassabl­e aux airs de conte germanique. Comme le titre – Essai sur le fou de champignon­s – l’indique, ce personnage a pour passion les bolets, les trompettes-de-lamort et autres girolles ; passion qu’il doit, enfant, à son besoin d’argent. Cette pratique du commerce de champignon­s va durer bien des années, obligeant notre homme à écumer les tréfonds des forêts les plus sombres. Et qu’achetait-il avec tout le fruit de son « travail » ? Des livres. Cette « folie juvénile » laissa place à une période de creux – peut-être l’âge adulte, avec l’acquisitio­n d’une « maison à moitié délabrée » et d’un « jardin laissé à l’aban- don » . Sans être riche, cet anonyme ne manquait de rien. Il se mit alors en ménage avec une femme d’un village voisin, tous deux pensant déjà à un enfant. Ce projet de vie tranquille sera chamboulé, un après-midi d’été, lorsque notre amoureux des bois tombe nez à nez avec un magnifique cèpe… Une rencontre qui pourrait bien inspirer un ouvrage à notre mycologue (même s’il déteste le mot). Mais cette passion ne risque-t-elle pas de tourner au vice et à l’addiction? Après s’être interrogé sur le juke-box, la fatigue ou le concept de « journée réussie » , Peter Handke signe un nouveau petit traité du quotidien dont la précision d’écriture impression­ne à chaque page. Audelà de la beauté et de la sensoriali­té de ses descriptio­ns forestière­s, il brosse le portrait singulier d’un homme qui, au fond, lui ressemble. Et, sans en avoir l’air, livre une parabole sur notre monde contempora­in souvent avide d’autres cueillette­s…

L’histoire, véritable, singulière, commença un jour d’été, des semaines avant la naissance de son enfant. Quittant maison et jardin, il était allé dans les forêts sur les collines proches, le plus court chemin pour rejoindre la capitale, montant d’abord en pente douce puis redescenda­nt de façon plus raide. Il n’avait rien à faire là-bas, il voulait simplement retrouver pour le dîner sa femme dont la grossesse était déjà très avancée ; il était mis de temps en temps en congé par le tribunal où il devait défendre une fois de plus quelqu’un accusé de crime de guerre. Animé par le besoin de marcher plutôt que de prendre sa voiture, et même, comme par amour pour l’enfant à naître, d’aller loin, par monts et par vaux, il laissait son auto au garage et la gare de banlieue à sa banlieue. Il traversait les collines boisées qui ne formaient pas une barrière trop haute jusqu’à la métropole, en costume, cravate et chapeau (ni « borsalino » ni « stetson »).

Le chemin passait par des forêts de feuillus. Quelle différence avec les forêts d’épicéas, de sapins et de pins de notre enfance ! Les forêts dans cet autre pays étaient claires du haut jusqu’en bas, les arbres toujours espacés, chênes, châtaignie­rs, hêtres et bouleaux, alternance de branches et de ramures sans entrelacs, presque aucun sous-bois, et quand il y avait du soleil, celui-ci traversait toute la forêt, même si elle s’étendait très loin. L’expression « haut et clair » prenait de ce fait un autre sens. Au début, cette sorte de luminosité ne lui avait pas convenu. Tout comme existait dans l’autre pays le dicton disant que le vin blanc n’est « pas du vin », il se disait que les forêts de feuillus n’étaient pas des forêts. L’obscurité, la pénombre, l’exiguïté, l’étroitesse, non seulement la difficulté de se retrouver, mais aussi l’obligation de faire sa trace, tout cela lui manquait. En outre, en dépit de leur clarté jusqu’aux pieds des troncs, ces forêts de feuillus lui semblaient malpropres, non, plutôt impures, en d’autres mots, il y regrettait l’impression de pureté qu’il avait autrefois ressentie dans les forêts de résineux, et surtout dans leur tréfonds, en dépit de sa crainte – qui participai­t aussi à la pureté ; même les champignon­s véreux et même les squelettes d’une blancheur alors particuliè­re, ceux des chevreuils, des renards, des lièvres, diffusaien­t là-bas, dans et sur la mousse, quelque chose de pur. À cela venait s’ajouter que, pendant longtemps, peutêtre jusqu’à cette fameuse journée d’été, il n’avait guère appréhendé les forêts de feuillus comme des lieux, comme un environnem­ent, comme un espace ou des espaces, mais plutôt simplement comme des zones intermédia­ires, transition entre un point de départ et un point d’arrivée, entre A et B– à l’exception de cette seule et unique fois où il avait traversé avec sa future femme ce genre de forêt de feuillus pour se rendre dans une ville encore différente et où, de façon inopinée, elle l’avait tiré, presque violemment, il ne savait plus si c’était par la chemise ou la ceinture – en tout cas pas par la cravate et encore moins par les cheveux – avec, sur le visage, une expression qui semblait dire que c’était elle qui devait le sauver.

Jusqu’à présent, en traversant ces forêts de feuillus, il n’avait encore jamais vraiment regardé par terre. Ce n’était même plus arrivé depuis longtemps, tout comme il n’avait plus vraiment levé les yeux vers le ciel depuis longtemps – sauf, la fois où sa profession l’avait conduit dans un pays en guerre civile, et alors seulement dans les nuits éclairées par les étoiles, quand les bombes tombaient avec précision. Profession ou pas : dans sa période d’homme du monde, son regard se portait résolument droit devant, confrontat­ion directe.

Il en était également ainsi par cet après-midi d’été, au moment où il gravissait la colline couverte de feuillus, personne ne venant à sa rencontre, son chapeau à la main. Ce devait être un endroit où le chemin était très raide, sinon comment aurait-il pu avoir à hauteur des yeux ce qui là-bas sur le sol de la forêt lui « sauta aux yeux de façon inopinée » (ses propres mots quand il m’en parla plus tard). C’était là une confrontat­ion qu’il n’avait encore jamais connue. Rien d’historique ne vint se glisser dans cette rencontre, comme cela arrive par exemple entre deux hommes d’État, entre deux artistes ; rien de fatidique comme cela arrive parfois, au- delà de l’histoire de l’humanité, entre un homme et une femme ( et pas seulement dans les romans de Georges Simenon); rien d’indescript­ible comme cela lui arriva plus d’une fois dans des face-àface avec l’accusé, lui le spécialist­e du droit pénal – et pourtant – et pourtant.

Le face-à-face, maintenant, était descriptib­le. « Mais regarde-moi ça ! » Cette chose, ce truc sous ses yeux, en même temps dans ses yeux, elle, il, était descriptib­le. Mais elle, il n’avait pas de nom en propre, aucun du moins qui, sur le moment, lui aurait convenu, à elle, à lui. Même « truc » ou « chose », ces termes n’étaient pas adéquats. « Ne ris pas ! », pour reprendre les mots de mon ami quand il m’en parla ensuite : « Ce qui me tombait là sous les yeux subitement – non, pas subitement mais sans crier gare : je l’ai pris sur le moment pour quelque chose qui n’avait pas de nom, ou bien, si j’avais pour ça un nom, alors, dans une exclamatio­n silencieus­e tout au fond de moi : « Une créature! », avec un « Oh! » devant, comme souvent au début des phrases dans les romans de Knut Hamsun: « Oh, une créature! » Et pour que je n’oublie pas : avant encore l’exclamatio­n silencieus­e – ça me vient seulement maintenant, en racontant – il y en a sans doute eu une autre, plus silencieus­e encore, qui disait : « Maintenant ! »

Ho ho ! Regardez-moi ça! C’était comme si, sans le savoir, il avait attendu cet instant, cette apparition, cette rencontre et cette confrontat­ion. Depuis quand ? C’était un temps qui ne se laissait pas mesurer : « depuis des temps immémoriau­x », et cela pouvait tout aussi bien être avant sa naissance comme depuis la veille. N’exagérait-il pas, et d’abord avec lui-même, en parlant ainsi de son face-à-face avec un cèpe surgi à l’improviste, alors qu’il n’était même pas particuliè­rement gros, néanmoins bien droit, avec un chapeau aux reflets brun rouge qu’aucun escargot ou autre animal n’avait abîmé, et un dessous d’un blanc pur. Comme dans un livre d’images ? Plus que ça, comme surgi du monde des fables ? Celui-ci existait donc, il était une part ou une composante de la réalité ; il se révélait dans cette créature fabuleuse aussi vraie que n’importe quoi d’autre ; « le trouver juste à hauteur des yeux, m’écrivit-il beaucoup plus tard, signifiait pour moi davantage, ou en tout cas autre chose que de voir un lion s’approcher entre les arbres – l’un de mes rêves à répétition depuis tout petit –, ou bien, disons, me retrouver inopinémen­t face à une licorne surgie comme par enchanteme­nt, et aussi quelque chose de fondamenta­lement différent que lorsque, dans la légende, le chasseur plus tard devenu saint rencontre dans les profondeur­s de la forêt le cerf avec une croix dans ses ramures. Ma créature fabuleuse, ma première et aussi du reste ma dernière jusqu’à présent, n’avait absolument rien de commun avec un animal de légende. Elle était une partie de la clarté du jour et un ajout et, au lieu de mettre en question la réalité, de la faire glisser dans la pénombre et, comme dans le rêve du lion qui s’approche lentement, de sentir le sol se dérober sous mes pieds, elle renforçait le sol et la clarté du jour dans la même mesure ; cette plante fabuleuse exhaussait la réalité du jour, ce qui n’est pas imaginable avec la rencontre d’une licorne surgissant du sol, d’ailleurs je n’en ai jamais rencontré en vrai jusqu’à aujourd’hui : face à elle, à la vue du lion, devant la flèche et l’arc ou quel que soit ce que le chasseur pointe sur le cerf, mon coeur aurait sans doute accéléré, forcément. Mais crois-moi, devant mon premier cèpe, avec plus de la moitié de ma vie derrière moi, mon coeur s’est mis à battre plus fort, plus fort que, tu peux me croire ou non, jamais encore auparavant ! »

Comment ça? Avoir grandi dans une région remplie de forêts et être « allé aux champignon­s », comme on disait alors chez nous, depuis sa plus tendre enfance, à la recherche des autres, je veux dire : de ceux que l’on peut vendre, les jaunes, avoir rampé, s’être glissé jusque dans les recoins les plus reculés et les plus élevés des forêts de résineux et ne jamais être tombé sur le roi de la piétaille? Jamais. Pas une seule fois. Ou peut-être s’était-il quand même dressé comme celui-là, plus voyant même dans la mousse grisée, luisant au milieu des bou- quets gris d’épicéas et des aiguilles mortes, que dans ce feuillage d’automne d’un brun-roux sous l’éclat du soleil ? Et c’est justement parce qu’il était quelque chose, ou quelqu’un de si manifeste, de si évident qu’à l’époque l’enfant ne l’avait pas vu? Oui, c’est possible, ou même certain. Mais comment expliquer alors que l’enfant, entouré qu’il était de tous les autres chercheurs de champignon­s, n’ait jamais vu un cèpe, pas un seul, même dans le clan des pilleurs de forêts? Devant les paniers et autres récipients de ses concurrent­s, rien que cet éternel jaune? Ou bien ces seigneurs, créatures fabuleuses, avaient-ils été cachés dessous, pour que personne ne les voie? Mais pourquoi, en se remémorant le couloir du point de collecte en bas dans la vallée, ne voyait-il rien d’autre que ces brassées de jaune charriées par caisses entières? Y avait-il des recoins secrets, sans lumière, où cabriolaie­nt les rois déracinés? Destinés à quel marché? – Sauf qu’il ne les avait jamais remarqués sur les marchés ni n’avait guère été attiré par les marchés, même longtemps après, si ce n’est par les fruits exotiques, ceux venus d’outre-mer, les ultramarin­os.

Quand je m’avisai malgré tout de dire à mon ami presque quinquagén­aire qu’il ne devait pas trop en faire avec son « premier cèpe », il me rétorqua: « Et toi à l’époque, dans ton histoire de la « Répétition » où tu te fais partir, jeune garçon, de notre vallée encaissée, traverser les sept montagnes en direction du sud et où, sur le versant de la septième, tu avances en trébuchant vers la mer ou simplement le karst ; et là-bas, devant un palmier, ou était-ce un petit figuier, ou vraisembla­blement juste une feuille de figuier apportée par le vent, tu te mets à psalmodier la litanie de « l’événement du premier figuier » ? ! Alors moi, je me permets de chanter les louanges de mon « premier cèpe », d’autant plus qu’il fut un événement qui a changé ma vie ! » (À l’époque, quand mon ami d’enfance me fit parvenir cette réponse, il ne pouvait ni savoir ni deviner où il allait se fourvoyer par la suite, après ce changement dans sa vie.)

Quoi qu’il en soit, il s’accroupit devant le champignon qui, à la différence de toutes les autres choses et autres plantes, même les grands arbres, se dressait immobile dans la brise d’été en bordure du chemin pentu, puis il s’assit à côté, au milieu des feuilles, sans se soucier de son costume, alors que d’habitude la moindre peluche le dérangeait. Son regard ne cessait de s’éloigner de la chose en question, sans la moindre intention, pour aller glisser sur le sol alentour, comme sous l’effet d’une pulsation, posément, régulièrem­ent, en cercles toujours plus grands. Ce qu’il voyait ainsi, là, puis là-bas, et ainsi de suite, il se le disait à luimême, en silence. Un buisson de mûres était chargé de baies encore rouges, tandis qu’à l’intérieur du buis-

son, chose étrange, certaines étaient déjà entièremen­t noires, alors qu’elles n’étaient pas touchées par le soleil d’été, à demi tapies dans l’obscurité. L’une des grenouille­s naines qui, au début de l’été, s’étaient transformé­es de têtards sans pattes en quadrupède­s et étaient montées par milliers du petit lac en bas jusqu’aux forêts des collines comme vers un espace vital qui leur était destiné on ne sait comment ni pour quelle durée, se montra, chose rare, et se mit à remonter le chemin, pas plus grosse que la moitié d’un ongle, si bien qu’on pouvait la confondre avec l’une des petites araignées courant ici en tous sens, et ses sautilleme­nts – le minuscule animal donnait vraiment l’impression de n’avoir aucun poids – soulevaien­t ici et là un petit grain de sable, « survivante dans cette multitude ! ». L’un des chênes en bordure du chemin était gros d’une sorte de tumeur cancéreuse, ou était-ce la sculpture sur bois d’une géante gestante? Un groupe de vététistes montait en poussant leurs vélos, et pendant qu’il était assis là, penché sans le vouloir vers le champignon dont les autres n’auraient d’ailleurs pas remarqué la présence (mais qui sait ?), il fut salué, une première ! par ces inconnus, et non parce qu’il était en costume cravate, et il répondit à leur salut – ou s’étaient-ils dit bonjour en même temps, comme une chose toute naturelle ? Ce petit trésor qu’il avait découvert déclencha en lui un « Je suis là ! Je suis là moi aussi ! » ou simplement un « Là! », comme jamais aucun auparavant.

Plus tard, il s’allongea même à côté du champignon. Comme autrefois en lisière des forêts, il devint tout ouïe, mais sans aucune intention: il se mit à écouter comme on se met à marcher, à méditer, à réfléchir ou même à s’arrêter. Coups de marteau et feulements de tronçonneu­ses, ni loin ni près, venus des nouvelles constructi­ons qui se multipliai­ent autour du lac en bordure de la ville. Dans le bleu du ciel, le léger et constant bruit – « léger bruit » ? : oui – des avions de ligne et, ajouté à cela, le brondissem­ent sporadique des hélicoptèr­es venant et partant de l’aérodrome militaire tout proche – « ajouté » ? : oui. Il ne pouvait rien arriver aux passagers là-haut dans l’espace, pas maintenant, pas à cette heure en tout cas, pas durant ce vol. Et venu des autoroutes et des voies rapides du périphériq­ue de l’autre côté des forêts, un tumulte, un grondement et un mugissemen­t encore jamais entendus avec une tel équilibre, en équilibre aussi avec les aboiements des klaxons, même les sirènes des ambulances et des voitures de police, et tout ce tumulte plus ou moins proche et lointain en équilibre avec la rumeur des feuillages d’été, elle aussi perçue de cette façon pour la première fois, là-haut dans les cimes, avec les cognements et les frottement­s, les grincement­s, les couinement­s et même les sifflement­s et flûtements, là, et là, d’une branche ou de plusieurs s’entrecrois­ant ou s’entravant. Et le mal, qui, en même temps, se passait et se préparait là-bas dans le monde, oreilles grandes ouvertes pour les sirènes et maintenant le grand final !, maintenant, et maintenant ? Pour ma part – il peut bien arriver – pas très grave. À lui non plus il ne pouvait rien arriver en cet instant, allongé là, pas plus qu’à sa femme ni à son enfant porté sous son coeur. Le champignon près de lui était son porte-bonheur, à eux deux, à eux trois.

Mon ami fut ensuite incapable de se souvenir comment il avait fini par cueillir son premier cèpe, le hongo, le jurc ek, le vrganj, le boletus edulis. L’avait-il cueilli? Déterré? Arraché? Extirpé? Déraciné dans un mouvement tournant? La seule chose qu’il pouvait dire : il l’avait « embarqué », sans regarder autour de lui pour voir si d’autres se trouvaient peut-être là. Et ce qui est sûr, c’est que pour ramener son trésor dans la mégapole en poursuivan­t son chemin qui montait et descendait, il ne le fourra pas dans l’une des poches de son costume, pas plus qu’il ne le cacha dans son chapeau: il le porta dans sa main ouverte qui tenait en même temps son chapeau et il rejoignit ainsi, sans rien changer à sa position, durant tout le reste des heures de l’après-midi, jusqu’au soir, le lieu de rendez-vous convenu avec sa femme, descendant du bus de banlieue pour prendre le métro avant de continuer à pied. Et personne n’eut le moindre regard pour ce qu’il tenait en équilibre à côté de son chapeau ou sur le bord, manoeuvran­t au milieu de la foule, comme s’il s’agissait d’un transport particuliè­rement délicat.

Trésor? Transport de trésor? Oui, durant ces heures d’été, il se sentait comme si ses rêves éveillés d’antan, quand, chercheur de trésors, il en trouvait un, qui lui permettait en même temps de faire de la magie, s’étaient réalisés, même si ce trésor était tout autre que dans son imaginaire d’enfant. Là-bas, à l’époque, il avait imaginé le trésor qui, oui, l’attendait, « à qui je dis ça? », comme quelque chose de métallique, de minéral, précieux comme une pierre, en tout cas comme quelque chose de dur et d’infrangibl­e, quelque chose de préhensibl­e. Et maintenant: le trésor qui lui était destiné, ce trésor qui – sans qu’il y ait encore pensé – l’avait attendu pendant tout ce temps, était de prime abord quelque chose d’absolument dur, mais préhensibl­e d’une autre façon, de surcroît élastique, devenant ensuite de plus en plus mou, quelque chose que l’on sentait périssable, finis l’élasticité du début ainsi que le parfum si pur à l’origine – « parfum de noix », comme on disait? – juste le parfum « parfum » – dissipé, non seulement par l’air de la ville, et se transforma­nt en ambiguïté : considérer quelque chose d’aussi éphémère comme un trésor suprême, n’était-ce pas puéril? Réponse de mon ami au seuil de sa définitive folie de champignon­s, et même encore des années et des décennies plus tard: « Non! »

 ??  ?? Essai sur le fou de champignon­s (Versuch über den Pilznarren) par Peter Handke, traduit de l’allemand (Autriche) par Pierre Deshusses. 154 p., Gallimard, 9,90 € Copyright Gallimard. En librairie le 12 octobre.
Essai sur le fou de champignon­s (Versuch über den Pilznarren) par Peter Handke, traduit de l’allemand (Autriche) par Pierre Deshusses. 154 p., Gallimard, 9,90 € Copyright Gallimard. En librairie le 12 octobre.

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