Le poing de la culpabilité
Fabrice HUMBERT Un roman virtuose sur les possibles de nos vies, entre hasard et déterminisme.
Nos vies se jouent peut-être en une poignée de secondes. Dans le magma du temps elles surgissent par surprise, et, pour le meilleur ou pour le pire, déterminent radicalement la palette plus ou moins étroite de nos possibles. Pour Tristan Rivière, personnage central de l’excellent Comment vivre en héros ?, cet incident fondateur dure exactement trente-sept secondes dans un train de banlieue. Un jour qu’il rentre chez lui, ce fils d’ouvrier devenu prof d’histoire assiste à l’agression d’une jeune femme. Que faire ? Ressurgit alors le souvenir de ce jour maudit où, jeune adolescent et boxeur en herbe, il avait abandonné son coach dans une rame du métro au moment où celui-ci allait se faire rouer de coups. Dix ans plus tard, Tristan tient enfin la chance de se racheter en lavant la honte. S’il s’enfuit à nouveau, il restera un lâche et le poids de la culpabilité hantera à jamais sa manière stricte et sans éclat d’habiter le monde. S’il reste et vient à son secours, il prendra l’étoffe d’un héros, et, porté par le souffle diffus de cet instant de bravoure, puisera là l’énergie motrice d’une existence bercée dans l’idéal de pureté morale. Idéal hérité de son père, militant communiste et ancien résistant. Imaginant les multiples versions d’une même vie, les faisant tourner l’une dans l’autre comme dans le tourbillon chaloupé d’une machine à guimauve, Fabrice Humbert donne à voir l’équation mouvante entre hasard, déterminisme et affranchissement personnel, que constitue la trajectoire composite d’un homme. Vif et généreux, déroutant d’intelligence et de fraîcheur, le récit file à toute vitesse, traversé par le plaisir d’embrasser, l’air de rien, de grandes questions. Pour trouver sa place parmi les hommes, n’est-il pas nécessaire de comprendre qui l’on est ? L’humanité est-elle autre chose qu’un « grand bordel darwinien des ambitions » , opposant les âmes fortes d’un côté et les faibles de l’autre? Après L’Origine de la violence et La Fortune de Sila (Grand prix RTL- Lire 2011), Fabrice Humbert signe un livre virtuose et plein d’ardeur sur le besoin de fiction dans la construction de soi.
E.L.